PARIS — Voix idéalement sombre, fine musicalité, français soigné: le
célèbre ténor allemand Jonas Kaufmann a fait jeudi soir à Paris des débuts
captivants dans le rôle-titre du "Werther" de Massenet, campant avec
justesse un jeune héros romantique sous l'oeil du cinéaste Benoît Jacquot.
Le réalisateur français fait jusqu'au 4 février -- il aura 63 ans le
lendemain -- ses débuts à l'Opéra de Paris avec cette production venue de
Londres (Covent Garden, 2004), qui constitue son premier spectacle.
La cinquième des huit représentations programmées, celle du 26 janvier, sera
diffusée par la chaîne franco-allemande Arte en quasi direct (20h35) de
l'Opéra Bastille, évidemment dans une réalisation de Benoît Jacquot.
A Londres, le metteur en scène n'était pas pleinement satisfait de la
distribution. Le ténor argentin Marcelo Alvarez ne lui convenait pas. "Il a
une voix d'or, est adorable mais c'est tout sauf Werther: il a une tête
d'Inca et une silhouette de tour", a confié Benoît Jacquot à l'AFP.
Avec Jonas Kaufmann, le cinéaste est comblé: ce beau ténébreux au cheveux
bouclés semble sorti de l'esprit de Goethe, dont "Les Souffrances du jeune
Werther" inspireront à Jules Massenet son drame lyrique (1892).
Son grain de voix concentré, la richesse de son timbre et sa maîtrise
technique font merveille dans cette musique qui préfère le ton de la
conversation à l'éclat. Le jeune quadragénaire offre notamment un "Pourquoi
me réveiller" (acte III) de toute beauté.
Benoît Jacquot, amateur de films en costumes, signe un spectacle très
classique, qui ne révolutionnera pas le théâtre lyrique. Sa mise en scène
raconte avec une élégante lisibilité, sous des lumières changeantes, le
drame de Werther, épris d'une Charlotte promise à un autre (Albert) et
préférant mourir plutôt que renoncer à son amour.
En peu de pas et de gestes, Jonas Kaufmann offre une forte présence. Son
Werther esquisse un duo convaincant, où l'on se cherche, se frôle, s'évite
ou s'étreint subtilement, avec la Charlotte de la mezzo française Sophie
Koch, d'une sensibilité et d'un épanouissement remarquables.
Très attentif aux personnages féminins dans ses films (Isabelle Huppert,
Sandrine Kiberlain, Judith Godrèche...), Benoît Jacquot l'est aussi dans
cette production qui met souvent les femmes (outre Charlotte, la Sophie
pétulante de la soprano belge Anne-Catherine Gillet) en mouvement, sur un
décor en pente.
La direction musicale est moins animée avec Michel Plasson, grand
connaisseur du répertoire lyrique français et maître-d'oeuvre d'un "Werther"
de référence au disque (EMI, 1979, avec le ténor espagnol Alfredo Kraus).
Si l'Opéra de Paris répare légitimement une anomalie en conviant dans la
fosse de Bastille ce chef qui n'y avait jamais dirigé, le maestro de 76 ans
peut décevoir par ses phrasés alanguis, pas toujours synchrones avec les
chanteurs. Mais sa lecture nuancée recèle des beautés que l'Orchestre de
l'Opéra de Paris sait exploiter. |