Le héros de la soirée est le ténor allemand
Jonas Kaufmann. Bien qu’il sorte épuisé de la fameuse mauvaise grippe au
point d’avoir renoncé à chanter lors de la répétition générale, il a, hier
soir, ébloui par une voix qui est sans doute la plus belle au monde,
fulgurante, puissante avec un timbre rauque, une douceur ardente et
poétique. Il a en outre tout pour lui : il est idéalement romantique avec un
physique de jeune premier ombrageux, cheveux bouclés, regard langoureux. Sa
diction en français, alors qu’il est de langue allemande, est impeccable. On
comprend tout ce qu’il chante. Le fameux air "Pourquoi me réveiller, ô
souffle du printemps" a été accueilli dans un silence intense. A ses
côtés la mezzo Sophie Koch (Charlotte) et la soprano Anne-Catherine Gillet
(Sophie) ont créé une émotion d’une qualité rare.
Cordes soyeuses, harpe somptueuse (le harpiste de 25 ans
Emmanuel Ceysson est nominé aux Victoires de la musique classique)
l‘orchestre de l’opéra donne une version d’anthologie, sous la baguette du
spécialiste de la musique française, le maestro Michel Plasson qui n’avait
pas dirigé à l’Opéra de Paris depuis quelque trente ans et jamais à la
Bastille. Comment, pourquoi va-t-on si souvent chercher des chefs à l’autre
bout du monde, alors que quelques uns des meilleurs, comme Plasson, comme
Georges Prêtre, adulés à l’étranger, semblent exclus des scènes nationales ?
Un mystère.
Sifflée la mise en scène de Benoît Jacquot ne le mérite
pas. Certes, elle est en permanence au premier degré. Pour raconter
aujourd’hui, notamment aux jeunes, une histoire aussi mièvre et nunuche que
celle de Werther, peut-être faut-il un peu d’ironie et d’humour. Le
cinéaste n’en montre jamais. Les décors passe-partout sont parfois beaux,
l’un d’eux faisant référence à un tableau de Vermeer. La direction des
chanteurs est subtile. Qu’est-ce qui manque ? Le romantisme. Benoît Jacquot
va superviser la captation de ce Werther pour Arte, en direct le 26
janvier. Il est à parier que les téléspectateurs seront plus chanceux que
les spectateurs de Bastille: il sait manier une caméra et rendra sans doute
mieux les affinités électives des personnages adaptés de très loin des
Souffrances du jeune Werther de Goethe.
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