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Resmusica, 19. Juli 2010
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par Dominique Adrian |
Puccini: Tosca, München, 15. Juli 2010
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Kaufmann prophète en son pays
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Scandaleuse
dans l’automne new-yorkais, la nouvelle production confiée par trois grandes
maisons à Luc Bondy n’est plus à Munich qu’une mise en scène semblant déjà
éprouvée par une longue présence au répertoire : le soir de la première,
l’accueil indifférent réservé au metteur en scène avait donné le ton. La
popularité de l’œuvre et des interprètes principaux a sans doute suffi à
contenter une bonne partie des spectateurs présents ; Luc Bondy, dont les
dernières productions lyriques ont souvent semblé trop timides, a réalisé un
travail honnête, vivant, efficace, qui en d’autres circonstances lui aurait
valu sinon l’enthousiasme, du moins l’indulgence des plus conservateurs
comme des plus progressistes des amateurs d’opéra. La question du sens n’est
pas centrale dans le travail de Bondy ; on peut le regretter pour Tosca, une
œuvre dont la profondeur n’est pas l’intérêt principal, mais qui éveille
maint écho dans la mémoire historique du citoyen du XXe siècle : ce pouvoir
instable, aux abois, aux mains d’intrigants sans scrupule couverts du voile
des valeurs traditionnelles, il aurait été certainement intéressant de le
faire vivre sur scène, sans qu’il soit pour autant indispensable de recourir
à une transposition explicite. La seule réussite de Bondy dans cette
direction concerne au premier acte l’Église, représentée comme la complice
du pouvoir de fait ; pour le reste, Bondy se concentre comme toujours sur
les personnages, avec l’aide pour les rôles principaux de trois
chanteurs-acteurs d’une grande intensité : Bondy sait incontestablement leur
faire trouver des gestes simples qui disent tout, ce qui n’est pas si mal
après tout en un temps où l’incompétence et le manque d’imagination ne se
privent pas de se recouvrir du masque du retour à une supposée tradition.
Lors de la première, seul parmi les acteurs principaux du spectacle,
Jonas Kaufmann avait pleinement échappé aux huées ; en cette 5e
représentation, le public est bien plus indulgent, en bonne partie à raison.
Il n’aurait peut-être pas été totalement injuste que Marco Armiliato ait une
part de celles adressées à Fabio Luisi qui dirigeait les représentations
précédentes : la lenteur est un choix qui peut se justifier, mais elle peut
parfois fragiliser le tissu musical (les dernières mesures du 2e acte n’en
finissent pas), et surtout, à côté de moments émouvants (notamment au 3e
acte), elle n’empêche pas une certaine confusion dans la construction des
plans sonores qui donne une fâcheuse impression de désordre.
Juha Uusitalo, plus connu comme wagnérien (et notamment en Hollandais pour
le public munichois), ne convainc jamais pleinement en Scarpia : s’il prend
bien soin de ne pas tomber dans une certaine noirceur caricaturale, si son
interprétation ne manque pas d’une brutalité maîtrisée, elle n’est pas
soutenue par la palette des couleurs qu’elle nécessiterait. Dans le
rôle-titre, Karita Mattila se bat elle aussi avec son rôle, abusant du
parlando, détimbrant à l’envi, laissant en friche la diction et parfois la
justesse ; c’est au fond les fragments d’une possible Tosca qu’elle livre au
public, mais ces fragments sont passionnants, dans leur étrangeté
intrinsèque comme dans quelques moments plus classiquement réussis, dont un
» Vissi d’arte » à couper le souffle.
Si la participation de l’Opéra de Munich, peu enclin à accueillir des
coproductions, à la création de cette Tosca avait pour but d’accueillir
Karita Mattila dans une maison qu’elle n’a guère fréquenté, c’est pourtant à
Jonas Kaufmann que va soir après soir la plus grande ovation. Après avoir
longuement attendu la reconnaissance dans sa ville natale, Jonas Kaufmann
est désormais la pièce maîtresse du succès de la maison, et il triomphe en
2010 en Mario comme il l’avait fait en 2009 en Lohengrin. Les limites de la
musique de Puccini ne lui permettent pas un travail aussi profond que pour
le chevalier au cygne, mais elle n’en a que plus besoin du trésor de nuances
qui font de Kaufmann un interprète unique : le début de » E lucevan le
stelle », pianissimo et pourtant parfaitement audible, parce que soutenu par
une technique imparable, fait penser à son » In fernem Land » de l’année
précédente. Le timbre sombre de Kaufmann est celui du héros, tout à la fois
vaillant et blessé – et voilà Puccini revêtu d’une aura de finesse comme il
en a rarement eu. |
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Crédit photographique : Karita Mattila (Tosca) &
Jonas Kaufmann (Mario) © Wilfried Hösl |
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