Le Figaro, 27/07/2010 
Christian Merlin
Wagner: Lohengrin, Bayreuth, 25. Juli 2010
 
Un trio gagnant pour «Lohengrin»
 
Le ténor Jonas Kaufmann, le chef Andris Nelsons et le metteur en scène Hans Neuenfels ont ouvert Bayreuth en beauté.
Photo: Annette Dasch et Evelyn Herlitzius, respectivement Elsa et Ortrud, donnent la réplique à Jonas Kaufmann, ténébreux Lohengrin, dans une belle symphonie de noir et de blanc. Crédits photo : AFP
À force de voir en Hans Neuenfels l'enfant terrible de la scène allemande depuis plus de trente ans, on a fini par ne voir en lui qu'un dynamiteur de pièces qui choque le bourgeois par ses provocations gratuites. C'est oublier qu'il est un très grand homme de théâtre, qu'il ne fait rien sans raison. Dimanche, lorsqu'il est venu saluer, seul, à la fin de la première de Lohengrin qui marquait ses débuts tardifs à Bayreuth, deux camps se sont nettement opposés:ceux qui, ayant l'impression qu'on avait mis des moustaches à la Joconde, ont hué violemment le metteur en scène, et ceux qui, ayant reconnu la force et (mais oui!) l'étonnante cohérence de cette production, ont crié «Hourra !».

Hans Neuenfels installe son Lohengrin dans un bloc blanc aseptisé (formidable décor de Reinhard von der Thannen). Les soldats brabançons? Des rats noirs géants. Leurs femmes? Des souris blanches. Sans aucun réalisme:stylisés comme des êtres hybrides, plus tout à fait animaux, pas encore humains. Toute l'intrigue est vue comme une expérience faite sur des créatures de laboratoires:Wagner n'est-il pas, après Shakespeare, celui qui a le mieux disséqué les comportements des hommes, presque en clinicien? La lumière (fabuleux éclairages de Franck Evin) est d'une clarté fulgurante, au point que, au deuxième acte, on voit même le chef d'orchestre, en reflet dans une paroi de verre:c'est la première fois sans doute dans l'histoire du Festival de Bayreuth, dont la fosse couverte cache les musiciens.

On rit souvent, désamorçage salutaire d'une tension palpable. Car Neuenfels ne ridiculise pas les personnages, il prend au sérieux le cercle vicieux dans lequel ils se débattent. Et pour quelques clins d'œil un peu potaches, combien d'images fortes comme Lohengrin brandissant la croix à la fin du deuxième acte, ou seul sur le plateau dépouillé, surmonté d'un point d'interrogation, à la fin du troisième. Tout est signifiant:les gestes, les couleurs (belle symphonie de noir et de blanc), et l'on s'éloigne finalement très peu de la lettre de l'intrigue. Même le cygne est là, et bien là, décliné sous des formes innombrables, jusqu'à cette troublante image finale d'un œuf donnant naissance à un fœtus humain coupant son cordon, sans que l'on puisse dire avec certitude qu'il annonce une fin heureuse à cet opéra si tragique.

Présence absolue

Plus jeune chef de l'histoire de Bayreuth, Andris Nelsons nous a, une fois de plus, estomaqué. À 31 ans, le chef letton réalise des prodiges de vigueur dramatique et de finesse poétique, faisant sonner les cordes de l'Orchestre du Festival avec une transparence rare. Une impressionnante présence physique et un incroyable sens des atmosphères font de lui une baguette hors norme. Hors norme aussi, Jonas Kaufmann et son Lohengrin d'anthologie:ténébreux et solitaire, il est d'une présence absolue. Les couleurs de cuivre patiné qu'emprunte son timbre voilé dans la demi-teinte sont magiques. À côté de cette lumière noire, les autres palissent quelque peu, notamment l'Elsa mièvre et trop légère d'Annette Dasch, à l'intonation paresseuse. Ortrud saisissante mais trop criarde d'Evelyn Herlitzius, Telramund râpeux de Hans Joachim Ketelsen. Le Chœur est tout simplement le plus beau du monde. Cela devient presque lassant de le répéter chaque année! Une première passionnante, en présence d'Angela Merkel, mélomane qui était fidèle à Bayreuth bien avant d'être chancelière, mais aussi de Roselyne Bachelot et Renaud Donnedieu de Vabre.

 






 
 
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