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Opéra, mars 2011 |
Laurent Barthel |
Beethoven: Fidelio, Munich, 8 janvier 2011
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Munich: Fidelio
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Ateliers de construction, bureau d'études, machinistes, responsables de la
sécurité, chanteurs, choristes, chef d'orchestre... le décor impossible de
ce Fidelio a dû faire transpirer beaucoup de monde à l'Opéra de Munich. Ce
labyrinthe transparent, d'abord basculé verticalement à l'acte I puis
descendu à vue en position horizontale au II, beau tour de force technique
au demeurant, n'est jamais pratique. À plat, seule la face avant est
visible, et le jeu scénique réel ne peut que rester confiné à l'avant-scène.
En position verticale - quand les murs deviennent des planchers ou des
plafonds, et les couloirs une série de puits -, la visibilité des différents
niveaux est meilleure, mais ce sont les déplacements qui deviennent très
difficiles.
La production fait intervenir une dizaine d'acrobates
pour escalader ce dispositif dans tous les sens pendant l'Ouverture (Leonore
III, et l'on revoit les mêmes figurants suspendus par des filins au-dessus
du décor à l'acte II, comme de bizarres oiseaux oniriques. Mais c'est
d'opéra qu'il devrait s'agir, et non de l'imitation malhabile d'un ballet de
Philippe Decouflé ! Or, dès qu'il faut faire fonctionner vraiment Fidelio à
tous les étages de cette cage à écureuils géante, le concept de Calixto
Bieito et son équipe devient vite lassant.
Les chanteurs les plus
audacieux, en l'occurrence Marzelline et Jaquino, crapahutent beaucoup,
Pizarro, Rocco et Don Fernando grimpent à des hauteurs moyennes, Leonore et
Florestan presque pas, chaque changement de niveau imposant, de toute façon,
de s'arrimer immédiatement au décor par un mousqueton pour éviter
d'éventuelles chutes. Et tout Fidelio se déroule ainsi, en haut, en bas, à
droite ou à gauche, sans qu'aucune vraie construction dramatique ne soit
possible. À défaut, Calixto Bieito... fait du Bieito : Pizarro se taillade
le corps à coups de lame de rasoir pour mieux stimuler sa bestialité,
Jaquino exhibe continuellement devant Marzelline son torse nu, sur lequel il
vient d'écrire u I Love You » en lettres rouges, l'un des Prisonniers se
suicide par pendaison avec force tressautements et crachotis, Don Fernando
est une sorte de clown blanc dérisoire et hilare qui, finalement, abat
Pizarro à bout portant... En somme, du remplissage, des petits morceaux de
mise en scène mis bout à bout, avec quelques idées originales. Ainsi, ce
quatuor à cordes en cage qui descend des cintres avant le tableau final,
pour jouer Lui fragment de l'opus 132 de Beethoven, beau moment de
recueillement et de prise de distance.
Mais tout cela ne fait pas Lin
opéra qui tienne la route, et encore moins Lin Fidelio, impression renforcée
par la suppression des dialogues parlés. Certes, les aspects surréalistes et
cauchemardesques du projet sont intéressants, Piranèse sans doute, mais
surtout les labyrinthes et bibliothèques sans fin, ni début, ni milieu de
Jorge Luis Borges. Certes, la mise en oeuvre technique est virtuose, mais
rien n'y lait : entre deux effets de surprise, le plus souvent, on s'ennuie.
Heureusement, la représentation est d'un haut niveau musical, mais elle
serait encore meilleure si Daniele Gatti n'avait pas à gérer la trop grande
dispersion et l'hyperactivité acrobatique des chanteurs. En pratique, le
chef se concentre surtout sur l'orchestre, d'une grande richesse en timbres
et en phrasés, misant sur le professionnalisme des autres pour s'intégrer
comme ils peuvent. L'exécution se révèle donc brillante en fosse et un peu
plus laborieuse aux différents étages, encore que sans défaillance.
Anja Kampe peut compter à présent sur une longue expérience du rôle
difficile de Leonore, qu'elle maîtrise avec une aisance proche de la
perfection. Jonas Kaufmann, qui possède l'exacte couleur de timbre
et la vaillance requises pour Florestan, chante aussi parfaitement qu'en
concert, Bieito ne lui faisant, de toute façon, rien accomplir de bien
intéressant.
Pizarro sonore et brutal de Wolfgang Koch,
Marzelline survoltée mais vocalement disciplinée de Laura Tatulescu, Rocco
fonctionnel de FranzJosef Selig, Jaquino juvénile et sympathique de Jussi
Myllys... Il y avait là matière à un Fidelio exceptionnel. En lieu et place,
on n'a pu voir qu'une mise en scène gadget, qui tourne en rond. Dommage ! |
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