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Resmusica, 27/12/2010 |
Dominique Adrian |
Beethoven: Fidelio, Munich, 21.12.2010
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Fidelio sans chef
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Nikolaus Bachler n’a pas toujours réussi ses nouvelles productions depuis
qu’il dirige l’Opéra de Munich, mais l’habilité programmatique de ce nouveau
Fidelio est presque diabolique, tant tout est là pour créer l’événement :
une nouvelle production d’un grand classique germanique, unissant le ténor
le plus populaire du moment, une Leonore aimée du public depuis sa Senta de
2006 et le plus « scandaleux » des metteurs en scène actuels, le tout à la
veille de Noël, entre les inévitables Traviata, Bohème et Flûte donnés
chaque année à la même période. La production précédente, un travail
passe-partout parfait pour les besoins courants d’une maison de répertoire,
datait de 1999 et était signée par Peter Mussbach : malgré le souvenir
inoubliable qu’y a laissé Waltraud Meier, il faut bien convenir que le temps
était venu de passer à autre chose.
On s’en doute, Calixto Bieito n’a
que faire d’amener sur scène les lumières de Noël – ce qui n’empêche pas que
la beauté plastique de la production, comme souvent dans son travail, n’est
pas peu aidée par des lumières d’une exquise délicatesse, signées comme
souvent par Reinhard Traub. Ces lumières et le décor d’une stupéfiante
beauté et d’une grande virtuosité de Rebecca Ringst sont, à vrai dire,
l’élément le plus intéressant de cette nouvelle production : l’idée
fondamentale de la production, celle du labyrinthe intérieur plus
emprisonnant que la prison elle-même, y est bien plus présente que dans la
direction d’acteurs. On n’en voudra certainement pas à Calixto Bieito
d’avoir supprimé les dialogues pour les remplacer par quelques textes
littéraires en général très brefs, mais la direction d’acteurs, notamment
dans la première partie, n’atteint pas les profondeurs de l’âme humaine que
ce point de départ théorique promettait d’éclairer ; le fait que le
personnage de Florestan soit visiblement celui qui a le plus intéressé le
metteur en scène explique sans doute cette faiblesse.
La réalisation
musicale de la partition n’est pas toujours à la hauteur de la beauté
visuelle du spectacle. La faute en revient largement au chef Daniele Gatti,
hué à Milan, hué à Salzbourg pour Elektra cet été, hué déjà à Munich pour
Aida, et malgré tout toujours réengagé. Sa direction ne se contente pas
d’être sans imagination : les sonorités lourdes qu’il affectionne ne donnent
pas même l’illusion de la profondeur, et la manière dont il ralentit
arbitrairement certains passages ne serait qu’une afféterie sans importance
si elle ne mettait pas en péril les chanteurs. La première victime en est
Anja Kampe, qui lutte visiblement pendant tout son air, déjà si difficile en
lui-même, pour ne pas laisser derrière elle l’orchestre censé l’accompagner.
On ne peut qu’imaginer ce que sa très belle voix pourrait donner avec un
chef capable de la stimuler : ce soir, son interprétation était bien trop
timorée pour emporter l’adhésion, tant ce rôle a besoin de façon criante
d’une forte personnalité en plus d’une grande voix.
L’autre rôle
féminin, à vrai dire, est chanté de façon encore plus transparente : Laura
Tatulescu, dont le personnage n’a à vrai dire visiblement pas beaucoup
intéressé le metteur en scène, est membre de la troupe de la maison, à qui
l’intendant Nikolaus Bachler semble souhaiter vouloir confier des rôles un
peu plus importants que par le passé : la réussite, jusqu’à présent, n’est
guère au rendez-vous. Certes, son collègue Steven Humes a beaucoup plus de
présence, mais avec une diction et une prononciation qui laissent à désirer.
C’est pourtant sans conteste du côté masculin que viennent les
bonheurs de la soirée : on pouvait s’y attendre avec le Florestan de Jonas
Kaufmann, que les Parisiens avaient déjà pu applaudir en 2008 dans le
spectacle de Johan Simons, présent ce soir dans la salle ; même si une toux
discrète au milieu de son air confirme qu’il n’était peut-être pas au mieux
de sa forme en cette soirée si attendue, l’intelligence de l’interprète, sa
maîtrise technique compensent amplement un petit manque de souplesse qui ne
l’empêche pas de réussir à merveille sa note d’entrée, long crescendo
vibrant d’émotion.
La distribution comporte, et ce n’est pas
rien, deux chanteurs qui parviennent à ce même niveau d’excellence. On avait
connu Franz Joseph Selig, y compris dans ce même rôle, beaucoup plus
routinier : est-ce parce que la mise en scène et l’absence de dialogues le
débarrassent de la bonhomie pesante que le livret suggère jusqu’à
l’écœurement ? Toujours est-il que le chanteur est très en voix et parvient
sans cesse à rendre sa présence intéressante. De même, Wolfgang Koch en
Pizarro sait se priver des effets faciles habituels pour inquiéter sans
machiavélisme inutile.
Cependant, le bonheur principal de la soirée
n’est pas venu seulement des chanteurs ou de la mise en scène : la bonne
nouvelle est qu’après plusieurs années chaotiques, le chœur de l’Opéra de
Munich semble s’être retrouvé et offre une prestation parfaite qui lui vaut
une ovation amplement méritée du public. Pourvu que ça dure : à force de
s’habituer à des chœurs médiocres, on oublie l’intensité du plaisir que
procure un ensemble à cet exceptionnel niveau. |
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