Le Figaro, 26. August 2010
Christian Merlin
Fidelio de Beethoven. Lucerne, Konzertsaal, le 15 août.
 
Abbado, le retour d'un géant
 
Chaque été, L'ouverture du Festival de Lucerne est attendue avec émotion: C'est le moment où Claudio Abbado sort de sa quasi-retraite pour retrouver l'orchestre qui se réunit pour lui une fois par an, sous le signe de l'élite et de l'amitié. Ici, le mot "Festival" prend tout son sens: on n'assiste pas à une tournée clés en main que l'on peut voir partout, mais à un moment unique. On a d'abord tremblé en apprenant que le chef italien, fragilisé par le cancer dont il s'est remis voici dix ans, annulait ses concerts de juin, contraint au repos. Repos salvateur, car il était bel et bien au pupitre mi-aout pour le Fidelio de Beethoven, qu'il mit si longtemps à aborder, comme intimidé par l'universalité de cet hymne à la fraternité.

Depuis qu’il a réduit son activité, Abbado ne pense plus en termes de carrière ou de notoriété lui, dont on a pu parfois trouver la direction un peu trop objective, au détriment de l’émotion, est devenu un chef visionnaire, dont chaque concert est un événement spirituel autant que musical. C’est en homme des lumières qu’il dirige, soulignant plus la filiation de Fidelio avec La Flûte enchantée mozartienne que l’anticipation du drame wagnérien. Cette transparence, cette fluidité, cette légèreté respirent la beauté et l’humanité, même s’il est permis de regretter l’absence du conflit et de l’âpreté propres à la musique de Beethoven question de conception. Mais ces murmures du chœur des prisonniers, cette jubilation finale (fabuleux Chœur Arnold Schönberg !), on ne les oubliera pas.

Distribution festivalière, avec la passe de trois pour Jouas Kaufmann, décidément l’homme de l’année trois semaines après Tosca à Munich, en même temps que Lohengrin à Bayreuth, le ténor allemand réussit un Florestan d’anthologie, dès ce cri initial ce « Gott » commencé pianissimo puis enflé jusqu’à emplir la glorieuse acoustique de la salle de Jean Nouvel. À cette cadence infernale, il n’aura peut-être plus de voix dans un an, mais pour l’heure il est tout simplement imbattable. Légère déception pour la Léonore de Nina Stemme, superbe de dignité mais tendue et rivée à sa partition, incapable d’habiter son personnage il lui reste à assimiler le rôle pour ne plus être intimidée par lui. Le contraire de Rachel Harnisch, Marzelline de haute lignée, de Falk Struckmann, Pizarro d’une présence écrasante, ou de Peter Mattei, qui fait des quelques phrases du Ministre un point culminant. On aurait pu se passer, en revanche, de la mise en espace pour le moins simpliste de Tatjana Gürbaca, solution hybride qui n’ose ni la version de concert ni la misé en scène, en un mot: inutile.






 
 
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