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Diapason, 19 août 2010
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Emmanuel Dupuy |
Fidelio de Beethoven. Lucerne, Konzertsaal, le 15 août.
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Fidelio à Lucerne
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Depuis quelques années, Claudio Abbado polit son Fidelio. Après une tournée
européenne en 2008 à la tête du Mahler Chamber Orchestra, c’est avec
l’Orchestre du Festival de Lucerne (les deux phalanges regroupant nombre de
musiciens communs) qu’il présente l’ouvrage pour deux soirs, en ouverture du
cru 2010 de la manifestation suisse. Version semi staged, c’est-à-dire sans
véritable mise en scène, mais agrémentée de quelques éléments de décors et
d’une direction d’acteurs minimaliste, assez bien vue, due à Tatjana
Gürbaca. Celle-ci propose également sa propre réécriture des dialogues
parlés : pourquoi pas, ceux de l’original ne sont guère un sommet de
littérature théâtrale. Mais elle les fait déclamer sur un ton réaliste, un
rien détaché, sans l’urgence dont est porteuse la partition. Du coup, ils
apparaissent comme autant de points d’arrêt dans le flux dramatique
qu’Abbado construit, à l’inverse, en un grand geste unificateur, fixant loin
l’horizon de l’orchestre beethovénien, rarement à ce point inondé par
l’esprit des Lumières. Basses gorgées de sève, bois épicés, cordes en
velours, chaque pupitre répond d’une seule voix à cette battue océanique,
éprise de liberté.
Après l’entracte, la température monte encore d’un cran. Les dialogues
deviennent, il est vrai, parcimonieux. Et Abbado, omettant la césure de
l’Ouverture Léonore III (que de nombreux chefs, suivant un usage arbitraire,
interpolent avant la dernière scène) file droit vers l’apothéose finale, où
le Chœur Arnold Schönberg se surpasse, modèle de cohésion et de fermeté.
Surtout, le Florestan de Jonas Kaufmann fait son entrée, avec son « Gott »
venu du tréfonds de l’âme. Fabuleuse cuirasse, tout en muscle et en pleur
rentré, maîtrise absolue, justesse de chaque instant : la perfection, point.
Face à ce dieu vivant, la déesse Nina Stemme étrenne enfin sa Léonore.
L’incarnation, sans doute, devra s’affirmer à l’épreuve de la scène, les
mélismes du redoutable « Abscheulicher » gagner un surcroît d’aisance ; mais
ce soprano monumental, campé sur un souffle infini, habite déjà chaque pore
du personnage, avec ce verbe puissant et cette féminité généreuse qui sont
sa marque.
Alentour, tout n’est que bonheur. On a peut-être connu des Marzelline au
platine plus éclatant que celui de Rachel Harnisch, rarement d’aussi fines
mouches et musiciennes, pas soubrette pour un sou. C’est tout l’honneur de
Christoph Strehl, aussi, de ne jamais tirer son Jaquino vers le buffo et de
lui rendre sa noblesse de jeune mâle blessé, frère jumeau d’un Don Ottavio.
Fontaine d’onction et de legato, Christof Fischesser a tout d’un Rocco
idéal, alors que Falk Struckmann, en grande forme, promène, intacte, la
haine effroyable de son Pizzarro. Cerise sur un cast jouissif, Peter Mattei
est le plus radieux des Don Fernando, mettant la salle à ses pieds en trois
répliques par son chant d’astre solaire.
Bonne nouvelle : on nous dit que Decca avait planté là ses micros. Nul doute
qu’avec la riche discographie existante, la confrontation de cette intégrale
annoncée sera de feu. |
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