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Forumopera, mars 2010
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Placido CARREROTTI |
Ciléa: Adriana Lecouvreur, ROH London, 4. Dezember 2010
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Poveri Castafiore
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Sans avoir véritablement jamais quitté l’affiche, Adriana Lecouvreur reste
une relative rareté, donnée de loin en loin en fonction des talents
éventuellement disponibles pour servir l’ouvrage. C’est dommage car celui-ci
vaut mieux que certains tubes du répertoire donnés plus fréquemment. Le
livret est, par construction, éminemment théâtral puisqu’il s’agit d’une
pièce du vieux routier Eugène Scribe : les situations dramatiques sont
nombreuses, fortes et variées. Sur ce canevas, Francesco Cilea a déployé un
style original, composant de nombreux airs aux mélodies entêtantes et des
duos passionnés. L’intérêt retombe quelques fois, notamment lors des
conversations musicales entre seconds rôles1 mais néanmoins l’ouvrage tient
bien la route. Un des intérêts de cet opéra est de permettre à des chanteurs
d’y donner leur vision personnelle du rôle de la tragédienne classique. Les
plus grandes divas ne s’y sont pas trompées, puisque le rôle-titre a été
incarné, entre autres, par Claudia Muzio, Magda Olivero, Leyla Gencer,
Montserrat Caballé, Renata Tebaldi, Raina Kabaivanska, Renata Scotto,
Mirella Freni ou encore, de manière plus anecdotique, Joan Sutherland. La
créatrice d’Adriana, Angelica Pandolfini, quoique bien oubliée aujourd’hui
était suffisamment réputée pour être, pour la première, la partenaire de
Caruso ! Le rôle de Maurizio a été lui aussi particulièrement bien servi et
on pourra citer parmi ses interpètes Mario del Monaco, Placido Domingo, José
Carreras ou Franco Corelli.
Avec un tel historique, on ne s’étonnera
pas qu’Angela Gheorghiu ait choisi de mettre le rôle à son répertoire et
c’est sur son nom que le Royal Opera a monté sa première production depuis
1906. Il faut dire que le soprano roumain est particulièrement populaire
outre-manche. Plusieurs représentations sont même filmées en haute
définition pour la postérité. Comme dit Spiderman, « un grand pouvoir
implique de grandes responsabilités » : la chanteuse est malheureusement
loin de les assumer. Difficile de juger complètement d’une telle performance
: nous devons nous contenter de ce que nous avons pu entendre. Rarement
aurais-je pu assister à une artiste donnant aussi peu de voix sur scène.
Confondant Covent Garden et un studio d’enregistrement, Angela chante en
effet avant tout pour son meilleur ami : le micro. Et c’est bien dommage car
il y a incontestablement de belles choses dans cette interprétation : le
timbre est idéal, l’émotion souvent à fleur de peau. Mais ne donner de la
voix que dans les duos, murmurer dans les ensembles, minauder dans les airs
au point d’être couverte par le bruit des caméras, c’est tout simplement
insupportable. Si l’« Umile ancella » tombe à plat (l’air de Michonnet qui
suit sera davantage applaudi, c’est dire), la scène de Phèdre est déclamée
sans trop emphase et l’air final « Poveri fiori » assez touchant. Les duos
avec Maurizio sont un peu plus passionnés, mais la ligne de chant s’en
ressent un peu. Au global, voilà ce qui fera sans doute un bon DVD, mais à
la scène, le compte n’y est pas.
J’avoue que j’avais des
craintes du même ordre concernant le Maurizio de Jonas Kaufmann, un chanteur
dont la puissance n’est pas la principale qualité. Mais ces inquiétudes sont
vite dissipées tant cet artiste utilise avec intelligence les forces et les
faiblesses de son instrument. Le ténor allemand est tour à tour charmeur
dans « La dolcissima effigie », pitoyable dans « L’anima ho stanca » ou
héroïque dans « Il russo Mencikoff ». A l’occasion de ce dernier air (entre
autres), Kaufmann montre d’ailleurs qu’il dispose de réserves suffisantes en
termes de décibels pour être audible quand l’orchestre est plus présent. Le
chanteur ne cherche pas non plus à surjouer le texte (ce qui arrive chez
certains spécialistes du lied). Finalement, il nous offre, un habile
cocktail d’italianité spontané et de musicalité plus germanique. On pourra
sans doute regretter un timbre un peu engorgé, mais les aigus, dépourvus de
nasalité, ont plutôt gagné en « métal ». Après des débuts exceptionnels en
Werther à Paris, cette nouvelle prise de rôle conclue par un nouveau
sans-faute nous démontre à quel magnifique artiste nous avons affaire.
En proposant Michonnet à Alessandro Corbelli, le Royal Opera revient aux
origines du rôle dont le premier interprète, Giuseppe De Luca était
également un baryton basse plutôt spécialisé dans les rôles bouffes. Le
chanteur italien apporte ici une verve et une légèreté nouvelle, avec un
je-ne-sais-quoi de mélancolie. L’âge venant, sa fragilité contribue même à
rendre encore plus crédible et attachant un personnage que la tradition
avait fini par faire interpréter par des barytons plus lourds tels qu’Ettore
Bastianini ou Sherill Milnes.
Olga Borodina est une Princesse de
Bouillon insolente de puissance vocale, impressionnante d’autorité, mais qui
sait aussi jouer des colorations pour être sensuelle et caressante. On
pourra ergoter sur certains aigus un peu en force, il n’en demeure pas moins
qu’un tel chant est rafraichissant pour les oreilles.
Les seconds
rôles sont de bon niveau. Maurizio Muraro est un Prince sonore et bonhomme,
Bonaventura Bottone un Abbé de Chazeuil tout en finesse, à l’émission
percutante mais parfois fâché avec la justesse.
A la tête d’un
orchestre en bonne forme, Mark Elder manque de pathos, se contentant d’un
accompagnement discret et efficace dont l’objectif premier est de ne pas
mettre en danger les chanteurs. Dommage, car ce type d’ouvrage a besoin de
passion, pas de raison. Pour une fois, le turbulent David McVicar ne
cherche pas ici à décaper l’œuvre (celle-ci n’en demande pas tant : nous
sommes face à un brave opéra vériste, pas à une œuvre de portée
universelle). Avec intelligence, il joue le parti du théâtre dans le
théâtre, avec un décor unique tournant très élégant (une scène et des
coulisses). La direction d’acteur est juste et l’émotion pointe au final
quand la troupe d’acteurs vient saluer, depuis le proscenium du décor, le
corps d’Adrienne en contrebas. Un très beau travail, d’une grande simplicité
et efficacité. |
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