Altamusica
Thomas COUBRONNE
Liedermatinee de Jonas Kaufmann accompagné au piano par Helmut Deutsch au festival de Salzbourg 2009
Tout un éventail de gris
 
Déception que cette Liedermatinee de la nouvelle coqueluche des scènes lyriques internationales, Jonas Kaufmann, accompagné par un Helmut Deutsch attentionné, dans un programme pourtant sur mesure et malgré autant d’efforts que d’idées. L’occasion de rappeler que le récital est un exercice terriblement exigeant et impitoyable.

Nous avions entendu Jonas Kaufmann il y a déjà six ans dans un Enlèvement au sérail où l’on avait remarqué un héroïsme un peu forcé et en peine de grâce dans les emplois aristocratiques mozartiens ; puis dans son enregistrement d’airs d’opéra chez Decca, où la noirceur du bas-médium accusait la métamorphose de sa voix, selon son propre aveu passée du ténor léger des débuts à un lyrique après avoir avec un nouveau professeur installé la voix dans le corps ; enfin dans son Florestan à l’Opéra de Paris, pour lequel nous n’avions aucune réserve à émettre tant l’interprétation musicale autant que la vocalité étaient irréprochables par rapport à ce que l’on entend partout, au disque comme à la scène.

C’est donc avec une grande curiosité que nous attendions de l’entendre dans un programme sur mesure : non pas les Schubert et Schumann qu’il a la contestable idée de prodiguer dans son enregistrement Sehnsucht, mais Liszt – et ce qu’il y a sinon de plus opératique, en tout cas de plus italien chez le compositeur hongrois –, Britten – toujours en italien – et Strauss, probablement le compositeur de Lieder demandant le plus de lyrisme et le moins de littéralité.

Déception pourtant, et difficile à appuyer sur aucun reproche : tout y est, l’attention au texte, la variété des nuances, la voix – et quel aigu dans la puissance ! –, les risques de pianissimo impalpable, les inflexions du vibrato, l’intelligence et la musicalité manifeste, un accompagnement tout sauf indifférent, soigné, scrupuleux, coloré, imaginatif. Mais rien n’y fait : le récital restera pour nous d’une assez fâcheuse inexpressivité et, avouons-le, d’un considérable ennui.

Simple affaire de couleur sans doute : autant dans les quelques véritables éclats du programme, la voix gagne brusquement un brillant, un mordant, une accroche tout à fait italiens, autant le reste du temps – et particulièrement dans le bas-médium – le timbre reste désespérément gris à nos oreilles, certes homogène, rond, mais d’une couleur monotone, un peu plat – absolument blanc dans une mezza voce d’assez bon goût mais bien pâle –, large, barytonnant, à la Vinay, sans charme et surtout sans jeunesse.

Face au peu d’évidence et de naturel de la voix, à cette émission rappelant les Heldentenore noirs sur toute la tessiture à l’exception de l’aigu, à l’héroïsme en mal de fragilité, nous peinerons à véritablement entrer dans la musique, et il nous manquera ce soin coloriste qui est sans doute le point commun de tous les grands Liedersänger, les Fischer-Dieskau, les Schwarzkopf, ou dans un genre moins littéraire et plus simplement chantant, les Hotter ou Wunderlich.

Qu’on pense un instant à l’expressivité immédiate et tout sauf fabriquée de ce dernier, et l’on aura une idée de ce que nous espérions qu’un ténor essentiellement opératique, loin d’un travail d’orfèvre sur le texte ou la musique, pourrait produire de par les seules qualités de la voix, en un mot par la seule beauté du timbre.

On en est loin, et plus que sur une certaine inexpérience au récital, que le choix suspect d’intervertir l’ordre de l’opus 27 de Strauss pour ne pas finir sur le secret Morgen mais sur le brillant Heimliche Aufforderung d’ailleurs sans aucun poids sur la coda – curieux et rare raté du concert –, c’est sur l’évolution de cette voix que l’on s’interrogera : n’est-ce pas une fois de plus que les sirènes de la puissance vont égarer sur l’écueil de la beauté imparfaite une voix si prometteuse ?






 
 
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