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Forumopera.com |
Romain Louveau |
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Danke schön !
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Paris, Théâtre des Champs
Elysées, Les Grandes Voix, mardi 17 mars |
4/4 |
On a assez répété que la voix de Jonas Kaufmann
était de nature plutôt intimiste. Mais qu’il nous soit permis de ne pas
réduire l’art d’un chanteur à une question de volume. S’il faut parler en
termes de personnalité vocale, alors oui, on doit lui reconnaître un timbre
sombre, couvert voire réservé. Ce soir à l’entracte, les critiques fusent
naturellement sur son interprétation des Puccini. Que le chanteur, très à
l’aise techniquement en jouant de ce caractère, privilégie dans son
interprétation des effets de piani à l’étalement de décibels, comment le lui
reprocher ? Quoi, faut-il qu’un ténor travestisse sa voix, mette en danger
la santé de son instrument, simplement pour coller à l’idée qu’un public
aime à se faire du répertoire italien ? Cela fait penser à certains amateurs
dogmatiques du répertoire ancien qui pensent retrouver par un diapason
factice un fragment d’authenticité du XVIIe, et oublient que le plaisir de
l’interprétation « d’époque » est avant tout la mesure qu’on éprouve de sa
distance, les sonorités chatoyantes d’un orchestre baroque venant en partie
de leur charme à proprement parler désuet, un sentiment nécessairement
étranger pour leurs contemporains : et ce plaisir de l’objectivité
scientifique est en réalité bien subjectif. Penser l’interprétation comme la
recherche de l’idéal du style italien par exemple, d’un Puccini idéal, c’est
se refuser le plaisir pourtant premier de l’interprétation, c’est à dire
l’art de la variation et de la confrontation, c’est également y projeter une
frustration bien idéologique avec les atours d’une scientificité
musicologique ; même au concert, on entend ce que l’on a envie d’entendre.
Si l’on veut donc bien admettre lors d’un récital, qu’un compositeur ou
qu’une œuvre ne se réduise pas dans l’absolu à ce qu’on vient y voir, alors
on pardonnera bien à Kaufmann de ne pas donner la même luminosité que
Pavarotti dans « Che gelida manina », ou la vaillance de Corelli dans « E
Lucevan le stelle ». Car ce qui est admirable au contraire, ce n’est pas
l’interprétation en soi, mais bien aussi sa rupture avec l’éducation d’un
public dans ce répertoire, c’est cette opposition qui enrichit et définit le
travail de Kaufmann. Et voilà aussi ce qui doit déplaire à certains.
Ce plaisir est pourtant celui de la partition et de sa redécouverte, de son
respect et de son intelligence. Ainsi, ce pianissimo – autographe - à la fin
de « La fleur que tu m’avais jetée » (1) (combien l’ont même osé ?) ou
encore le poème d’Ossian « Pourquoi me réveiller », rendu avec une angoisse
et une noirceur très barytonnante ! S’il se laisse couvrir dans le medium
par l’orchestre (qu’on aurait bien mis en fosse…) les aigus ne manquent pas
d’éclat. On remarque aussi quelques accidents sur l’homogénéité de la voix,
ou parfois le sentiment d’être déjà au bout de sa capacité, mais est-il
vraiment possible d’en déduire quoi que ce soit ? Car il n’est pas une
intention musicale, pas une prise de risque qui ne semble résister à la
technique du chanteur, et d’ailleurs, il semble que ce soit par choix qu’il
assombrit ou affaiblit l’émission ; car enfin, l’essentiel demeure : autant
pour la diction parfaite dans tout le programme que dans le soutien des
phrasés. Une telle intelligence musicale exceptionnelle.
Comme à chaque récital de chant, les intermèdes musicaux sont troublés par
l’impatience du public et les approximations des orchestres. Ce soir
n’échappe pas à la règle, la faute en particulier aux cordes. L’ouverture de
Weber en revanche, ainsi que les pupitres de vents, prennent sous la
direction décidée de Michael Güttler une belle dimension.
Pour terminer le programme, « In fernem land », même s’il faut rappeler que
cet air n’est pas vraiment représentatif de l’endurance nécessaire à une
représentation de Wagner, confirme néanmoins l’intérêt de sa prise de rôle
par la mise en valeur du texte et son intensité : quel silence dans le
théâtre. Des bis enfin on retiendra sans hésiter Manon plutôt que Rigoletto,
où les quelques vocalises passent difficilement - sans pour autant amoindrir
l’enthousiasme du public pour cet immense musicien.
Après deux récitals parisiens exceptionnels, on attend avec impatience le
second disque du ténor pour Decca et sa prometteuse collaboration avec
Claudio Abbado à la tête du Mahler Chamber Orchestra.
(1) On peut se demander pourquoi Bizet choisit une telle
nuance sur une cadence finale, intense du point de vue de l’écriture
(jusqu’au Sib), et du sens. C’est que la tension de ces quelques mesures ne
réside pas dans la densité sonore, mais dans la complexité harmonique : la
mélodie collerait en effet au schéma harmonique classique d’une cadence
parfaite (« J’étais une chose à toi », IVème degré et « je t’aime », la
sensible, sur une 7è de dominante), que Bizet évite au dernier moment en
trois accords hallucinants sous la sensible tenue par le ténor, qui devient
successivement la tierce d’un accord de la mineur (et non pas celle de la
septième de dominante attendue) puis la tonique de do majeur ! Un capharnaüm
harmonique féérique quand il n’est pas couvert par un ténor à pleine voix… |
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