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François Lesueur
 
Loué soit Jonas
Récital de Jonas Kaufmann
Le 9 novembre dernier il électrisait le Palais Garnier avec son premier récital dans la capitale, le 17 mars le Théâtre des Champs-Elysées était à ses pieds. Jonas Kaufmann est en passe de devenir le ténor numéro 1, le seul capable de surpasser Alagna, Villazon et Florez, en rayonnement, en esprit, mais aussi en musicalité et en répertoire. Le succès de son album "Romantic arias" publié chez Decca, n'est sans doute pas étranger au nombre de spectateurs venus juger de son charisme vocal et physique.

Le programme composé à parts égales d'airs italiens, allemands et français convoquait Puccini, Bizet et Massenet, avec deux échappées en direction de Von Flotow et de Wagner. Débuté avec le premier air de Cavaradossi (Tosca) chanté avec une décontraction et un calme souverains par un artiste en pleine possession de son art, le ton de ce concert placé sous le signe de l'élégance, du style et de l'intelligence était donné. Le timbre envoûtant, riche en harmoniques et la conduite sur le souffle permettent à ce musicien hors pair de prendre immédiatement après cette démonstration, les traits du célèbre poète désargenté Rodolfo (La Bohème), pour un "Che gelida manina" d'un raffinement unique et d'une suavité de ligne exceptionnels. Après une ouverture ronflante d'Oberon de Weber, dirigée par Michael Güttler à la tête de l'Orchestre National de Belgique, le ténor revenait avec un air longtemps inscrit au répertoire, qu'il a remis au goût du jour, celui de Lyonel dans Martha de Von Flotow "Ach, so fromm", qu'il interprète avec une pertinence vocale et une densité sonore remarquables. Clin d'oeil évident au Werther donné actuellement à la Bastille dans lequel il est attendu la saison prochaine, Kaufmann s'attaquait ensuite avec bravoure au célébrissime "Pourquoi me réveiller" d'une perfection instrumentale inouïe, où la rage goethéenne se mêlait à la plus humaine des sensibilités ; ajoutons à cette performance un français sublime, un aigu héroïque et des notes piano tenues, d'une beauté renversante.

Le second air de Cavaradossi "E lucevan le stelle", placé en seconde partie, offrait un autre visage de Kaufmann, celui de la vulnérabilité. Sa manière d'apparaître abattu et de recréer vocalement cet état, s'accorde à merveille à ce lamento, chanté avec une poignante émotion et plus encore à ce Don José brisé par l'amour, qui dans cette page aux allures de confession, "La fleur que tu m'avais jetée" se met littéralement à nu. Là encore la façon d'alléger le matériau vocal jusqu'au détimbrage, sans rien perdre de sa texture, son art du phrasé, son sens de la nuance et de la messa di voce, tiennent du miracle.

Le clou de la soirée était sans conteste l'exécution de "Im fernem Land" de ce Lohengrin qu'il n'abordera que l'été prochain à Munich. Comme descendu du ciel, le chanteur interprète son récit dans un état de grâce, renforcé par une voix volontairement haute, pleine et d'une belle assise. A mi-chemin entre Sandor Konya et Gösta Winbergh, Jonas Kaufmann mise sur la pureté de ses accents et la clarté de sa diction pour caractériser les paroles de ce héros chevaleresque et maintenir la progression dramatique jusqu'à la révélation de son identité.

Un tel marathon en aurait exténué plus d'un mais le ténor, face à un public en délire, a généreusement donné quatre bis et non des moindres. Le lamento de Federico "E la solita storia" de L'Arlesiana de Cilea, summum de legato et d'expressivité, transporta l'assistance qui renouvela son admiration après une éclatant "Non ti scordar di me" de De Curtis. Lui succédait le songe de Des Grieux « En fermant les yeux » (Manon), d'une poésie ineffable et d'une entêtante somptuosité sonore, avant de prendre congé sur une "Donna è mobile" (quel grand écart après Lohengrin et Martha....) d'une générosité bondissante.

Tout simplement ma-gis-tral.
 






 
 
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