La Croix, 18.03.09
Emmanuelle GIULIANI
 
La grâce vocale de Jonas Kaufmann, nouveau ténor vedette de la scène lyrique
Devant le public subjugué du Théâtre des Champs-Elysées, à Paris, le ténor allemand a déployé son immense talent, mettant au service de la musique une santé vocale impressionnante
Lorsque la météo devient clémente, les sorties de spectacles sont plus détendues : chacun prend son temps plutôt que de regagner frileusement la bouche de métro ou l’arrêt de bus les plus proches.

Sur le parvis du théâtre (en l’occurrence celui des Champs-Élysées, à Paris), impressions et commentaires s’échangent, histoire de prolonger un peu la soirée. Et sa magie. Car c’est bien de cela qu’il s’agissait mardi 17 mars, lors du récital éblouissant offert par le ténor allemand Jonas Kaufmann.

Pourtant, le principe même de ce style de concert, où les extraits succèdent aux extraits, n’est pas toujours propice à l’émotion musicale. Un peu de Puccini, un soupçon de Von Flotow (l’auteur de l’opéra romantique Martha), une bribe de Bizet ou de Massenet, sans oublier les intermèdes orchestraux qui permettent au chanteur de souffler un peu… Mais, une fois admis ce morcellement un tantinet frustrant, l’auditeur peut se concentrer sur le héros de la soirée et goûter pleinement son talent.

Voix flamboyante capable de faire patte de velours

Physique superbe, port élégant et gestuelle sobre, Jonas Kaufmann capte d’abord l’attention par le regard. On le souligne d’autant plus volontiers que cette allure avantageuse ne servira jamais à détourner l’auditeur de qualités proprement musicales. Elles se fondent aussi bien sur une voix d’airain (sur toute l’étendue de son registre) que sur un sens aigu de la nuance qui lui fait rechercher - et obtenir - sans cesse les raffinements les plus audacieux, notamment dans la douceur.

Qu’il s’agisse du répertoire italien ou du chant français (dont il maîtrise superbement la diction, délicates diphtongues comprises), Jonas Kaufmann travaille les plans sonores avec une subtilité qui force l’admiration : sa technique lui permet d’émettre un pianissimo impalpable immédiatement après un son rutilant qui fait trembler la salle.

Certains pourront trouver qu’il se grise parfois de ces contrastes, mais quel bonheur d’entendre une voix aussi flamboyante capable de faire patte de velours pour traduire la soumission de Don José à Carmen ou les rêveries amoureuses du Chevalier Des Grieux qui « en fermant les yeux » songe au bonheur de vivre avec Manon (cet air de Massenet, figurant parmi les quatre bis de la soirée, en fut un des sommets de charme et de sensibilité).

Réminiscence indicible et sublime d’un ailleurs

La tradition allemande fait bien entendu partie du répertoire de cet artiste complet qui chante déjà sur les scènes quelques rôles wagnériens (Walter des Maîtres Chanteurs ou Parsifal) et compte bien, peu à peu, mettre les autres à son « catalogue ».

Malgré le soutien trop présent de l’Orchestre national de Belgique, dirigé avec énergie mais propension à forcer sur les décibels par Michael Güttler, le ténor a livré un récit onirique extrait de Lohengrin, où, pressé par sa jeune épouse, le héros révèle son origine et la mission sacrée des chevaliers du Graal.

Comme dans Werther ou Manon, son timbre acéré, qu’il voile soudain d’une sorte de brume nordique, invite à ressentir la musique comme la réminiscence indicible et sublime d’un ailleurs. D’un paradis perdu peut-être, où règne la beauté. Sans partage.






 
 
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