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Caroline Alexander
Beethoven: Fidelio, Paris, Palais Garnier, novembre/décembre 2008 (28 novembre)
Beethoven en version high tech
Fidelio, l’unique opéra de Ludwig van Beethoven qui, de 1805 à 1814, semble avoir été son unique souci, n’avait plus été joué sur la scène de l’Opéra National de Paris depuis 1982, quand Jon Vickers et Hildegarde Behrens en interprétèrent les deux premiers rôles.

C’est donc un retour attendu que Gérard Mortier décida de mettre à l’affiche de sa dernière saison à la tête de la grande maison d’opéra parisienne. Fidèle à ses amitiés et à ses coups au cœur, il engagea pour la mise en scène le néerlandais Johan Simons auquel il avait déjà confié un Simon Boccanegra chahuté (voir webthea du 10 mai 2006) et, pour la direction d’orchestre, son chef allié depuis les années de La Monnaie à Bruxelles, Sylvain Cambreling. Leurs qualités comme leurs défauts se retrouvent dans cette nouvelle production qui se veut résolument de notre temps.

Décors et éclairages fonctionnels sans supplément d’âme

La prison d’où Leonore, la fidèle va tenter d’extirper son mari Florestan, prisonnier politique soumis à des traitements indignes, est une prison high tech équipée d’ordinateurs, de téléphones portables et de serrures électroniques fonctionnant sur des codes. Murs nickel tout neufs comme si la geôle venait d’être construite, volée d’escaliers métalliques, cabine de surveillance semblable au cockpit d’un avion de chasse : tout est lisse et glacé même derrière les barreaux qui clôturent la cour où, grâce à Fidelio alias Leonore, les prisonniers peuvent enfin revoir la lumière du jour. Efficaces, dénués d’humanité, le décor et les éclairages de Jan Versweyveld se contentent d’être fonctionnels sans le moindre supplément d’âme. Les costumes subissent le même sort clinique à l’exception de la méchante robe à fleurs de Marzelline, une robe aux couleurs criardes que, au final, revêtissent toutes les femmes du choeur des prisonniers libérés.

Un ton délibérément d’aujourd’hui

Opéra de l’utopie célébrant à la fois la défaite des tyrans et l’héroïsme de l’amour conjugal, Fidelio qui connut trois versions différentes est avant tout un chef d’œuvre hybride où le singspiel allemand avec ses dialogues parlés alterne avec des matières orchestrales composées sur le modèle des symphonies dont il était le génial ordonnateur. Deux titres, Leonore puis Fidelio, trois versions, - 1804/1806/1814 – autant d’ouvertures, des duos, des trios ajoutés puis supprimés… C’est généralement la dernière version de 1814 qui est jouée, mais ici Sylvain Cambreling y ajoute l’ouverture intitulée Leonore1 ainsi que le trio Marzelline/Jacquino/Rocco du premier acte. Pourquoi pas ? On n’y trouverait rien à redire si la musique était servie dans sa magnificence originelle et le feu de sa passion. Mais les battues de Cambreling oscillent entre sécheresse et mollesse, et, malgré quelques passages où il permet au lyrisme de reprendre ses droits, l’ensemble est plus pesant qu’émouvant. Les dialogues réécrits par Martin Mosebach sont simples et directs, le ton, délibérément d’aujourd’hui, est joué avec naturel comme au théâtre, avec des silences qui en disent longs.

Jonas Kaumann transfigure Florestan

Mais pour l’émotion, les chanteurs heureusement la chauffent à blanc. A une seule exception près, la distribution pourrait se qualifier d’idéale : Franz-Josef Selig, tant de fois déjà entendu à l’Opéra de Paris et chaque fois magnifique, reste en Rocco un modèle d’humanité tandis qu’Alan Held, baryton basse américain fait de Pizzaro l’archétype du bourreau paranoïaque, exécuteur zélé de toutes les basses œuvres, Marzelline a le charme et la fraîcheur, de timbre et d’allure de la jeune soprano allemande Julia Kleiter tandis que Jaquino s’offre la naïveté un rien pataude du ténor tchèque Ales Briscein. Point culminant de la distribution le ténor Jonas Kaufmann aux graves de velours frappé transfigure Florestan dès son apparition, vautré sur ses chaînes, et dès le premier son émis. L’exception, si on peut dire, est celle du rôle titre, rôle réputé inchantable confié à la soprano Angela Denoke, une habituée elle aussi de la scène de l’Opéra de Paris où elle nous enchanta si souvent. Manifestement elle n’a ni la tessiture idéale pour le rôle de cette femme qui se fait passer pour un homme, ni sa projection, ni son ampleur. Même la justesse lui fait ici ou là carrément défaut. Mais son engagement et son jeu pathétique compensent si bien ses faiblesses qu’on finit par croire en elle. Et par l’aimer.

Petite coquetterie de présentation : dans le programme, le supplément habituel consacré à la biographie des interprètes a été converti en « dossier judiciaire », où chacun a droit une fiche d’état civil avec : nom, prénom, âge, poids, couleurs des yeux et des cheveux, date et lieu de naissance, profession. Les principaux actifs de la dite profession étant énumérés sous la rubrique « antécédents judiciaires ». Deux photos sinistres en noir et blanc de face et de profil complètent le transfert en clin d’oeil.






 
 
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