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Scènes Magazine |
Eric POUSAZ |
Bizét: Carmen, Zurich, 28 Juin 2008
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Zurich : “ Carmen“
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Un plateau circulaire incliné envahit tout le
plateau ; à l’arrière, un grand drap blanc que les éclairages subtils de
Martin Gebhardt colorent en fonction de l’atmosphère du moment. Les
chanteurs amènent eux-mêmes les quelques éléments de décor nécessaires à
l’action (la porte de la manufacture de tabac, les sièges et tables de la
taverne de Lilas Pastia, etc…) alors que sur la cage du souffleur trône pour
chaque acte un élément significatif différent (un chien endormi pour la
place du premier acte ou des caisses de marchandises pour la scène du défilé
des contrebandiers). Le metteur en scène concentre son intérêt sur le jeu
des chanteurs, transformés pour l’occasion en acteurs de film naturaliste
noir. Les costumes évoquent une contrée ensoleillée d’une rare pauvreté où
les gens passent leur temps à tromper leur ennui en se raillant des défauts
qu’ils observent chez les autres.
Carmen est une femme austère, sauvage, qui ne s’abandonne jamais à ses
sentiments. Tout est calcul, chez elle, jusqu’à sa mort finale qui ressemble
fort à un suicide désespéré. Don José, par contre, est un être timide
soudain emporté par la passion. Leur affrontement programmé les laisse
presque impuissants face au destin qui les conduit à l’anéantissement et
assure au spectacle un rythme soutenu, qui va s’accélérant.
Pour sa prise de rôle, Vesselina Kasarova étonne avec sa Carmen au chantant
chaotique, piqueté de notes puissantes et chaleureuses. La voix ne semble
pas à l’aise dans une écriture qui allie légèreté et éclat, dérision et
grandeur tragique. Au stade actuel, son portrait demande encore à mûrir.
Jonas Kaufmann, avec sa voix de ténor étonnamment riche dans le grave, crée
la sensation avec son Don José à l’intonation précise : le personnage semble
constamment pris dans un rêve et se meut dans une autre sphère. Lorsque
Carmen se moque de lui, il répond d’une voix douce, presque éthérée, comme
s’il ne parvenait à la comprendre. Rarement le personnage aura paru si juste
et si pathétique dans son incapacité à communiquer, et tout cela est rendu
avec un timbre d’une beauté immatérielle qui se refuse à l’effet facile
(notamment avec un sublime si bémol murmuré en fin de l’air de la fleur…).
Michele Pertusi est un Escamillo hâbleur aux fanfaronnades d’un aplomb
réjouissant alors qu’Isabel Rey en Micaëla agace l’oreille par un timbre qui
vire systématiquement au cri acide dès qu’il est poussé dans ses derniers
retranchements. Les emplois secondaires vont de l’excellent (Sen Guo en
Frasquita ou Gabriel Bermúdez en Dancaïre) au tout juste acceptable, surtout
par la faute d’une maîtrise du français qui paraît bien souvent trop
approximative. Même Carmen, sur ce plan, se situe en-dessous du standard
admissible sur une scène germanophone aux prétentions internationales.
Franz Welser-Möst dirigeait sa dernière nouvelle production en tant que
Directeur Général de la Musique (une fonction qu’il va maintenant exercer à
l’Opéra de Vienne). Sa version du chef-d’œuvre de Bizet est abrupte,
emportée, presque enragée. Parfaitement en place dans les dernières scènes,
une telle conception anéantit les subtils équilibres entre comédie et drame
dans les scènes plus légères des premier et deuxième actes et alourdit
inutilement le propos. Carmen reste donc encore pour ce chef, à qui
d’ordinaire tout réussit, une noix dure à croquer …
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