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Webthea.com, 22 juin 2007 |
Caroline Alexander |
Verdi : La Traviata, Paris, Palais Garnier, 06/16/2007 - et 19, 24, 27,
30 juin, 3, 6, 8, 12 juillet 2007
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La Traviata de Giuseppe Verdi
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Christine Schäfer, bouleversante môme
Violetta |
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Un puits de lumière tombe des cintres et isole,
hors du temps, un petit bout de femme en robe noire : sur la scène du Palais
Garnier, Violetta, la demi-mondaine dévoreuse d’hommes s’est glissée dans
l’âme et la silhouette de la môme Piaf et chante comme elle son amour de la
vie et du dernier homme à y être entré. Avec cette vision décapante et
combien juste, le metteur en scène suisse Christoph Marthaler revient au
Palais Garnier qu’il avait mis en état de choc avec des Noces de Figaro
d’une joyeuse et très mozartienne insolence (voir webthea du 27 mars 2006).
Et une fois de plus dérange avec bonheur. … Quitte à faire grincer des dents
une poignée d’irréductibles accrochés aux falbalas d’un siècle révolu comme
à une bouée de survie d’une culture dépassée. Cela fait vingt ans que ça
dure : chaque fois qu’un homme de théâtre ou de musique découvre le monde
d’aujourd’hui dans une œuvre du passé et l’enracine dans le présent, la
bronca des mécontents fait tapage lors des premières. A l’Opéra de Paris,
c’est carrément devenu un must, un petit groupe s’étant fait une spécialité
de pousser des « bouhhh » de protestation. Ils achètent leurs places pour ça
et font désormais partie du folklore local.
Violetta muée en petite boule d’énergie
Voici donc Violetta dans notre siècle, ou plutôt dans celui qui l’a précédé.
Elle fut une star de music hall, la gloire s’en est allée à petits pas, la
maladie l’a rattrapée par la manche, elle veut brûler ses derniers feux,
invite ses fêtards d’amis à faire la fête dans les locaux décrépis de son
théâtre. Dans la bande, un groupie, fan de la première heure lui déclare son
désir… Il est jeune, il est beau, sincère et généreux. La roue de la Dame
aux Camélias tourne encore, de Marguerite à Violetta, d’un siècle à l’autre,
cette fois muée en petite boule d’énergie, fille des rues un jour devenue
reine de revue avec son nom en haut de l’affiche. Eros et Thanatos veillent
toujours car ces deux-là sont immortels.
Une étrange femme témoin, nue sous son vison
Marthaler aime les décors à tiroirs, des lieux qui sont eux-mêmes et une
multitude d’autres. Il y avait dans Les Noces de Figaro cette improbable
galerie marchande avec un bureau d’état civil et un vestiaire d’école. Il y
a toujours un vestiaire dans La Traviata mais c’est celui d’un salle de
spectacle. Au fond du plateau, les tréteaux d’une scène de théâtre – théâtre
dans le théâtre ? – avec son manteau d’Arlequin mais aussi un radiateur et
des fenêtres qui jouent sur le glissement d’un lieu à l’autre. Des panneaux
de bois roux, des ouvertures à cour et à jardin et des lustres art déco qui
descendent des cintres. Ca sent la poussière et le négligé, la fin de règne…
Toujours comme dans Les Noces, Marthaler invente un personnage, le drôle
bonhomme voyeur est cette fois une étrange femme, nue sous un vison, hauts
talons vacillants et regard fixe, le corps chaloupant qui apparaît dans les
scènes de bal comme le témoin d’une décadence plombée par le shit et le
mousseux…
La dimension animale de Jonas Kaufmann
Mais l’essentiel du talent de Marthaler tient avant tout dans sa
formidable direction d’acteurs. Il est vrai que dans la distribution de
cette nouvelle production il est tombé sur deux magnifiques bêtes de scènes.
Jamais Germont, cet Alfredo énamouré, d’habitude un peu mou, un peu lâche,
n’a eu la dimension animale de Jonas Kaufmann, ténor de rêve au timbre large
et chaleureux, belle gueule et comédien hors pair. D’abord petit renard non
apprivoisé perdu dans la foule, ébloui par la femme désirée comme par les
phares d’une voiture, puis chat sauvage défendant son territoire à coups de
griffes et de dents… Christine Schäfer s’est coulée dans les gestes de
Piaf, sans effort dirait-on, immédiatement crédible, féline elle aussi et
tirant parti de toutes les ressources de sa voix qui certes n’est pas de
celles des divas de légende mais qui se plie en souplesse, en justesse, en
beauté à toutes les gammes de l’émotion jusqu’à devenir totalement
bouleversante.
L’intelligence musicale de Sylvain Cambreling au service d’un projet
On retrouve avec plaisir José Van Dam, toujours sobre, sombre et juste,
Hélène Schneiderman compose une Flora totalement déjantée et les ballets mis
en mouvements par Thomas Stache réservent quelques savoureux numéros de hip
hop acrobatique.
Sylvain Cambreling, une fois de plus, prouve à quel point son intelligence
musicale peut se mettre au service d’un projet. Dans la fosse sa Traviata a
des relents de requiem, les valses se grisent d’alcool et de désespoir, ses
pianissimos, ses silences disent la fin du monde que Marthaler montre sur
scène. |
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