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Opéra Magazine, septembre 2007 |
RICHARD MARTET |
Verdi : La Traviata, Paris, Palais Garnier, 16 juin 2007
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PARIS LA TRAVIATA Verdi
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Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette nouvelle
production de La traviata aura fait couler beaucoup d’encre et de salive,
divisant la salle le soir de la première entre salves d’applaudissements et
bordées de sifflets. Il est vrai qu’elle a tout pour hérisser le poil de
nombreux mélomanes et, en même temps, tout pour en subjuguer d’autres.
Comme dans Tristan und Isolde à Bayreuth, Christoph Marthaler et sa
décoratrice Anna Viebrock nous entraînent dans un espace tenant à la fois de
la salle des fêtes et de l’entrée de music-hall, violemment éclairé aux
néons, avec une vaste alcôve au fond sur la gauche et, comme pour Le nozze
di Figaro, déjà au Palais Garnier, un vestiaire avec sa rangée de manteaux.
Les coloris évoquent une fois encore l’ex-Allemagne de l’Est: murs et rideau
verdâtres, tentures marronnasses... Ce décor ne bougera plus jusqu’au rideau
final, l’alcôve servant successivement de garage pour la maison de campagne
de Violetta (représentée à l’avant-scène par une simple chaise longue, une
bouteille de champagne et des flûtes) et de chambre mortuaire au III.
Délibérément, l’époque n’est pas clairement définie XX’ siècle, c’est sûr,
mais rien de plus précis. Une certaine ressemblance entre Violetta et
l’Édith Piaf des années 1950 (cheveux roux coupés très courts, petite robe
noire) pourrait renvoyer à cette période, mais les invitées à la fête chez
Flora arborent des robes de haute couture échappées aussi bien des années
1930 que 1980...
Pour le metteur en scène, de toute manière, l’important est ailleurs. Comme
l’indique la parenté avec Piaf (qu’il évite soigneusement de pousser
jusqu’au sosie, notamment en juchant Christine Schäfer sur des chaussures
aux semelles exagérément compensées, lui donnant une démarche complètement
différente), il veut nous raconter une histoire:
celle d’une femme, une artiste, que la maladie isole progressivement du
monde qui l’entoure. Rejetant cet univers factice de pantins désarticulés
(les mouvements saccadés des choristes pendant le Brindisi), elle cherche le
bonheur auprès d’un homme qui n’y appartient pas, avant de voir son rêve
s’effondrer et de mourir abandonnée de tous, sauf de son amant qui la
soulève dans ses bras au dernier acte comme Théo Sarapo portait Piaf épuisée
dans les films d’archives du début des années
1960.
Reconnaissons-le, Christoph Marthaler raconte très bien. Sa démarche est
d’une cohérence infaillible, de la première à la dernière note, et sa
direction d’acteurs est affûtée (ce qui n’était pas du tout le cas dans
Tristan), au dernier acte notamment, où la solitude de Violetta et le
désespoir d’Alfredo ressortent avec une vérité poignante. On reconnaît aussi
la patte d’un grand homme de théâtre dans certains détails de mise en scène
d’un effet fulgurant, notamment le recours à un halo de lumière pour isoler
Violetta de l’univers qui l’entoure à plusieurs moments clés (« Ah,fors’è
lui », « Alfredo, Alfredo »). Mais voyons-nous La traviata? Pour répondre à
cette question, je recourrai délibérément à la première personne car il est
tout à fait possible de réagir à ce spectacle d’une manière différente de la
mienne.
Plusieurs choses m’ont manqué, et d’abord la dimension sociale du drame.
Violetta est une courtisane, tout dans le livret le dit. Rien, dans la
production de Marthaler, ne faisant explicitement référence à son statut de
femme entretenue, on comprend mal pourquoi sa liaison avec Alfredo compromet
le mariage de la soeur de ce dernier, surtout en plein milieu d’un XX siècle
généralement moins strict sur le plan de la morale.
Le fait qu’elle soit une prostituée, même de luxe, est à mon avis
indispensable à la compréhension de l’ouvrage. Or, c’est justement une
dimension que le metteur en scène refuse dans le « journal des répétitions»
de Jan Vandehouwe, reproduit dans le programme de salle. D’autre part, le
choix de nous plonger d’emblée dans un décor terne et triste efface toute la
thématique de la déchéance, bien présente chez Verdi et Piave. La traviata,
c’est une descente, une chute de la richesse vers la pauvreté. Dans cette
production, Violetta meurt aussi anonyme qu’elle avait commencé, les signes
de luxe placés par le metteur en scène dans les deux premiers actes restant
beaucoup trop discrets.
«Ce que j’aime chez Marthaler, c’est sa manière de ramener les scènes
d’opéra à des conversations d’ordre domestique », explique Christine Schäfer
dans le «journal » susmentionné. Moi, c’est précisément ce qui me gêne, dans
La traviata du moins, car j’avais adoré sa Katia Kabanova.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette nouvelle production de La
traviata aura fait couler beaucoup d’encre et de salive.
Même s’il s’inspire d’une histoire vraie et met en scène une courtisane et
non une reine ou une princesse, comme c’était le cas dans la plupart des
livrets au milieu des années 1850, La traviata est un opéra dont on ne peut
bannir, à mon avis, la dimension romantique, voire poétique. La soif de
pureté de Violetta et sa volonté farouche de racheter ses fautes passées, le
besoin éperdu d’idéal d’Alfredo, les hissent au-dessus du quotidien et en
font des figures archétypiques. Or, que voit-on ici? Une Violetta
ressemblant à une ouvreuse, comme j’en croisais tous les dimanches au cinéma
dans mon enfance, et un Alfredo se nettoyant les ongles pendant le récitatif
de «De’miei bollenti spiriti » pour en retirer la crasse accumulée pendant
qu’il réparait la tondeuse à gazon! Difficile de faire plus poétique...
Ce qui m’agace, enfin, c’est ce qu’il faut bien appeler des tics, récurrents
chez Marthaler comme d’ailleurs chez la plupart de ses confrères. Les
mouvements saccadés d’automates des choristes pendant le Brindisi que nous
évoquions plus haut, les déhanchements des invitées pendant le « ballet» des
gitanes, la fille en bas résille prenant des poses obscènes et vidant une
bouteille de champagne pendant tout le tableau chez Flora, ont un fort
relent de déjà-vu. Sans parler de cette manière de distraire le regard du
spectateur de l’action principale en l’attirant dans une autre direction.
Comme Luc Bondy nous montrait un moine astiquant le sol avec une serpillière
au début du deuxième acte de Don Carlos au Châtelet, Marthaler nous impose,
à l’arrière-plan, les contorsions d’un réparateur de tondeuse à gazon
pendant tout le duo entre Violetta et Germont!
Et la musique? Sylvain Cambreling a effectué un remarquable travail avec
l’orchestre, qui sonne compact et homogène, aussi bien dans le fortissimo
que dans le mumure. Sa direction à le mérite d’épouser le rythme et les
contours de la mise en scène, quitte à paraître trop lente au premier acte,
notamment dans le duo « Un di, felice, eterea », au tempo étiré jusqu’à
l’insoutenable. Les choses s’arrangent au second, avec un « Dite alla
giovine» superbement soutenu par les cordes, et surtout au troisième, avec
une mort de Violetta tragique sans être brutale, parcourue d’une tension
bouleversante.
Formidable comédienne comme toujours, Christine Schäfer se tire avec les
honneurs du rôle-titre. Surmontant sans problème (mais sans véritable
ivresse) les écueils virtuoses du premier acte, avec une puissance dans
l’aigu que nous n’attendions pas forcément, elle construit son personnage
avec beaucoup d’intelligence, en respectant scrupuleusement les nuances
voulues par Verdi. Il lui manque simplement la variété dans les couleurs qui
empêcherait sa Violetta de sonner assez monotone. Acteur tout aussi
convaincant, avec le plus d’un physique de jeune premier, Jonas Kaufmann
campe un Alfredo idéalement amoureux et ardent. Mais sa voix, plus centrale
et plus dramatique qu’il y a trois ou quatre ans (il vient d’aborder
Florestan et songe à Siegmund), n’est plus vraiment celle de l’emploi. Comme
Placido Domingo jadis ou, plus récemment, José Cura, le ténor allemand
paraît surdimensionné par rapport à l’enjeu, ce qui ne retire rien à
l’impact de son incarnation.
Comme Jean Lucas le soulignait lors de sa prise de rôle à Bruxelles Germont
arrive trop tard dans la carrière de José van Dam. Le phrasé, la conduite de
la ligne, l’autorité restent souverains et pourraient faire figure de modèle
mais, dans cette tessiture trop aiguë pour lui, le baryton basse belge
trahit constamment l’effort, avec une émission raidie et parfois rebelle à
la justesse, et un souffle qui se dérobe. Parmi les nombreux comprimari, une
mention pour Helene Schneiderman en Flora, Michael Druiett en Douphol et
Nicolas Testé en Grenvil. |
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