Le Figaro,
Schubert : Fierrabras, Paris, Théâtre du Châtelet mars 2006
Les rêves de Schubert
Opéra. Schubert n'a jamais vu jouer Fierrabras, l'opéra qui lui avait été commandé en 1822. La première, dans une version remaniée, eut lieu à l'occasion du centenaire de sa naissance, en février 1897, à Karlsruhe. Une représentation qui ne convainquit guère le public puisque c'est Claudio Abbado qui fit véritablement renaître l'ouvre de ses cendres au Festival de Vienne en 1988.

On attendait donc avec impatience et intérêt la production du Théâtre de Zurich donnée mardi au Châtelet. Les raisons pour lesquelles cet opéra est tombée dans l'oubli sont obscures. Certes l'histoire écrite par le librettiste Josef Kupfweiser n'est pas d'une grande cohérence et charrie beaucoup de stéréotypes, mais ce critère est loin d'être rédhibitoire en matière d'art lyrique. Les destins de Fierrabras, fils du roi des Maures et du preux chevalier Eginhard, amoureux de la fille de Charlemagne, Emma, se croisent avec celui de Roland épris de Florinda, la fille du roi des Maures, dans un tourbillon dont la logique de construction n'est pas la première qualité.

Claus Guth a choisi de monter l'oeuvre comme s'il s'agissait d'une rêverie symbolique du compositeur. Il invente le personnage de Schubert dans des décors et costumes de Christian Schmidt qui placent l'action au moment de la création de l'oeuvre. Un immense piano remplit une partie de la scène en transformant le compositeur en personnage d'Alice au pays des merveilles. Cette distanciation transforme les personnages en histrions, ce qui peut se défendre, mais introduit aussi un décalage entre les sentiments d'amitié et de fraternité que porte la musique de Schubert. Car cet opéra, même si la partition n'est pas la plus accomplie du compositeur, comporte de très belles choses notamment dans l'écriture des choeurs.

Expert dans l'écriture pour les voix, Schubert livre de très belles pages comme l'air au premier acte entre Emma, Julia Banse, au timbre velouté même si elle semble parfois peiner dans les aigus, et Eginhard, éclatant Christoph Strehl qui confirme ses grandes qualités de ténor. lka distribution est d'ailleurs excellente. Le baryton Michael Volle est un Roland fougueux et viril et les deux basses, Gregory Franck et Gunther Groissböck, chantent avec beaucoup de musicalité Charlemagne et Boland, le prince maure. Jonas Kauffmann incarne Fierrabras, double douloureux de Schubert, avec expressivité et émotion. La Florinda de Twyla Robinson est un peu en retrait, ce qui est dommage car son entrée au deuxième acte est empreinte d'une grande force dramatique.

Franz Welser Möst à la tête de l'orchestre et des choeurs de Zurich donne une réelle homogénéité à cette oeuvre touffue et sait notamment dans l'admirable scène de bataille trouver les couleurs dramatiques de l'épopée. Certes, par moments, l'action s'enlise, certaines scènes sont trop développées mais le plaisir de voir cette oeuvre si représentative et si peu jouée de l'opéra allemand finit par l'emporter.






 
 
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