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ConcertoNet.com |
Manon Ardouin |
Schubert : Fierrabras, Paris, Théâtre du Châtelet 03/08/2006 - et les
10* et 12 mars 2006
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Réussite zürichoise à défaut d’être Schubertienne!
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Pratiquement inconnue à son époque, Fierrabras
est remontée avec beaucoup d’ardeur par l’Opernhaus de Zürich avec une
distribution enthousiaste, à défaut d’être homogène, et dans une mise en
scène truffée de bonnes idées et qui surtout sert l’oeuvre, ce qui devient
assez inhabituel de nos jours…
L’intrigue de l’opéra est assez simple: le roi Charlemagne a une fille,
Emma, qui aime et est aimée de Eginhard, un chevalier de la cour. Mais son
père se montre contre cette union, trouvant le prétendant en-dessous de son
rang. Charlemagne est en guerre contre le prince Maure Boland qui, lui, a un
fils Fierrabras retenu prisonnier, mais estimé pour sa vaillance guerrière,
chez les Francs. Fierrabras est secrètement amoureux d’Emma. Boland a aussi
une fille, Florinda, qui aime et est aimée de Roland, chef de l’armée
franque et ennemi du prince maure. La religion et la politique sont
évidemment au coeur de cette histoire mais une paix générale permettra au
deux couples d’amoureux de se retrouver.
Schubert est omniprésent dans la mise en scène et c’est lui qui la règle.
Dès le lever du rideau il est assis sur une immense chaise, devant un piano
gigantesque et à première vue on penserait davantage qu’il s’agit d’un
pantin que d’un acteur tant les accessoires de taille démesurée. L’acteur
Wolfgang Beuschel tient le rôle de Schubert et il cultive cette étonnante
ressemblance avec le compositeur: il porte des petites lunettes et un
costume comprenant une veste bleue et un pantalon beige. Schubert est
constamment sur scène pour diriger ses personnages (c’est lui qui les
introduit pour leur entrée), leur donner des partitions,… Cette
distanciation entre l’intrigue et l’oeuvre est subtile et ne verse pas dans
un théâtre dans le théâtre facile. Quand l’intrigue devient un peu trop
complexe, un tableau noir avec les noms des personnages et à quel camp ils
appartiennent descend des cintres et Schubert, en bon professeur, réunit les
couples et trace des flèches d’amour pour voir qui va avec qui. Les effets
sont simples mais de bon goût et efficaces.
Les décors sont très sobres et, outre le piano et la chaise (qui va servir
de trône aux deux rois), une immense horloge (très suisse!) est accrochée
sur un mur. Quelques idées intéressantes traversent la production comme la
représentation des territoires conquis ou bien acquis: des maquettes d’un
château-fort pour les Francs (qui ressemble beaucoup au château qui se
trouve à Zürich!) et de palais musulmans pour les Maures. Claus Guth joue
beaucoup sur la symétrie: les choeurs portent des armes, des épées pour les
Francs, des sabres pour les Maures, les rois successivement vont se placer
sur cette grande chaise mais à deux endroits opposés de la scène, etc… Les
costumes sont simples mais beaux. Emma porte une robe blanche tandis que
Florinda arbore une superbe robe bordeaux. Le camp des Francs est habillé
comme Schubert et même Fierrabras qui dès le début de l’opéra est passé du
côté de ses ennemis.
Le rôle-titre est tenu par Jonas Kaufmann, pilier de l’opéra de Zürich. Ce
jeune ténor, à la carrière prometteuse et qui vient de se tailler un franc
succès au Met dans La Traviata, déploie une voix longue et puissante, avec
des harmoniques assez sombres pour un ténor. Il campe un Fierrabras rempli
de noblesse et son aisance scénique souligne bien la valeur héroïque du
personnage. Dommage que Schubert ne lui ait pas donné une plus longue
partition et d’ailleurs il ne se prive pas de le lui faire remarquer à la
fin de l’opéra! Juliane Banse est une soprano avec une voix assez étrange.
Sa prestation est assez peu convaincante, ses aigus sont un peu courts et
surtout elle possède un instrument engorgé qui peine à se développer. La
déception est d’autant plus grande que scéniquement elle est parfaite pour
jouer les jeunes filles volontaires. Toutefois il convient de souligner
l’élégance de son phrasé. Le grand triomphateur de la soirée est, sans
conteste, Michael Volle dans le rôle écrasant de Roland. Ce chanteur possède
une voix brillante, de multiples nuances et il sait très bien s’en servir.
Il dessine un personnage soucieux de gloire et sa vaillance vocale s’accorde
parfaitement avec la teneur de son rôle. Christoph Strehl est plus que
plausible dans le rôle d’Eginhard puisqu’il parvient à donner une véritable
envergure au personnage tant vocalement que scéniquement. Non seulement il a
le physique du rôle (parfois un peu naïf et survolté) mais aussi la voix et
s’il ne fallait retenir qu’un moment ce serait celui où il chante un duo
d’amour avec Emma: Schubert écrit ici un passage qui se rapproche du climat
de ses mélodies et le ténor effectue un beau travail d’interprétation en
augmentant peu à peu l’intensité dramatique, en allongeant un crescendo,
etc… Les deux rois ennemis sont tenus par des chanteurs impressionnants.
Gregory Frank, qui remplace Laszlo Polgar, impose sa souveraineté avec des
graves profonds et éloquents. Il est vêtu d’un long manteau et d’une
couronne dorée qui souligne sa majesté. Dès son entrée en scène il fait
sensation par l’homogénéité de sa voix et la distillation de ses notes.
Gunter Groissböck, le prince maure, n’a presque rien à lui envier si ce
n’est qu’il semble avoir moins de facilité. Il n’en interprète pas moins un
très beau roi. L’autre jeune fille de l’opéra est Florinda, rôle tenu par
Twyla Robinson. Cette soprano possède une voix agréable à écouter,
plaisante, avec de jolies couleurs mais elle semble ne jamais chanter en
pleine voix. La puissance est assez réduite même dans l’air-récitatif où
elle décrit le combat que livre Roland. Elle montre un engagement scénique
impressionnant et si sa terreur se lit dans les diverses teintes de sa voix,
elle ne se lit pas dans les nuances musicales. A noter la prestation
fugitive de Sandra Trattnigg en jeune fille de la suite d’Emma, que l’on
aurait aimé plutôt entendre dans le rôle-même d’Emma. Cette toute jeune
chanteuse dévoile une voix charmante, timbrée et possède un beau phrasé qui
peut lui faire espérer une belle carrière.
Le choeur de l’Opernhaus de Zürich ne peut recevoir que des louanges. Non
seulement les choristes jouent subtilement mais ils chantent avec nuance et
douceur. Le choeur qui ouvre l’opéra est remarquable d’élégance musicale. Le
choeur de l’Opéra de Paris ne nous habitue pas à tant de luxe! Il n’y a rien
à redire non plus de l’orchestre et de son chef Franz-Welser-Möst qui assume
d’une main de fer la partition en rendant toute sa fraîcheur à cet ouvrage
ainsi que sa gravité dans les combats. Il insuffle une élégance à l’ensemble
tout à fait notable. Cette grande salle internationale n’a certes pas le
prestige du Met ou bien de la Scala mais elle sait réunir de très bonnes
distributions. Le cast de ce soir réunit les plus fidèles de la troupe de
l’Opernhaus de Zürich et l’on ne peut qu’espérer qu’ils reviendront de temps
en temps à Paris pour continuer à livrer leurs belles productions.
Un très agréable spectacle servi par une équipe qui ne ménage pas ses
efforts vocaux et scéniques pour tenter de défendre cette musique. A part
quelques passages vraiment très réussis, le duo entre Emma et Eginhard, un
air de Florinda, Schubert se perd un peu dans les ensembles et il semble
chercher sa voie à plusieurs reprises. Il n’en reste pas moins que mise en
scène et interprètes redonnent vie à Fierrabras avec talent et il est à
espérer que de telles entreprises courageuses se poursuivront! |
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