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Simon Corley
Humperdinck: Die Königskinder Montpellier, Corum, 07/27/2005
Conte de fées pour adultes
Parmi les raretés que le Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon s’attache, comme chaque année, à faire sortir de l’oubli, René Koering a notamment choisi Die Königskinder (1908) d’Engelbert Humperdinck, donné ici en création française (et en version de concert) à l’Opéra Berlioz. De fait, il était tentant de se demander si le compositeur, dont un unique succès, Hänsel et Gretel (1893), est resté à l’affiche au-delà même des pays germanophones, a laissé d’autres œuvres marquantes.

On apprend d’abord grâce à la présentation très documentée de Lucie Kayas que Humperdinck, avant de se tourner vers l’opéra comique à la fin de sa vie, s’est fait une véritable spécialité du conte de fées, possédant à son actif trois autres opéras inspirés de l’univers du Märchen. Auteur du livret de ces Enfants royaux (généreusement distribué au public et assorti d’une traduction plus soucieuse de beauté que de fidélité), il s’est fondé sur une pièce de théâtre qu’il avait abordée dès 1897 sous la forme du mélodrame, c’est-à-dire d’un texte déclamé en même temps que la musique. C’est seulement dix ans plus tard que, reprenant cette première musique de scène, il l’a étendue et transformée en un ample opéra en trois actes, d’une durée de près de deux heures trois quarts, créé à New York en décembre 1910, deux semaines après La Fanciulla del West de Puccini.

Malgré son prince et sa sorcière, Die Königskinder, d’un caractère complexe et ambigu avec son symbolisme et son dénouement tragique, ne s’adresse pas aux enfants, même si ceux-ci ont le beau rôle d’une histoire narrant l’aveuglement, la bêtise et la méchanceté des adultes, qui, à l’exception d’un sage ménétrier, refusent de reconnaître dans le fils du roi et la gardienne d’oies les «enfants royaux» appelés à régner. Autour des humains, la nature occupe une place capitale, notamment la forêt, qui, sans aller jusqu’au cauchemar du Freischütz ou d’Erwartung, n’est cependant pas aussi univoque que celle de Siegfried. Car ce nouvel avatar de l’un des clichés du romantisme allemand n’est pas insensible à l’air du temps, qui est aussi celui de Pelléas et de sa forêt mystérieuse, voire trouble et inquiétante.

Assistant de Wagner pour les représentations de Parsifal à Bayreuth, Humperdinck ne dissimule pas sa dette à son égard: livret d’un style passablement ampoulé, mondes hiérarchisés et autonomes (Hellaberge, Hellabrunn, Hellenwald) à l’image de ceux des dieux, des géants et des nains dans le Ring, relations entre la sorcière et la gardienne d’oies évoquant le couple Mime/Siegfried, héros «qui n’a pas éprouvé la peur» – le wagnérien ne sera décidément pas dépaysé.

Comme chez Wagner, la séparation en récitatifs et airs s’efface au profit d’un flux musical continu, unifié par des leitmotivs, et l’action procède souvent par récits ou dialogues, à l’exception du deuxième acte, plus vivant, où Les Maîtres chanteurs semblent s’être frottés à une rusticité Mitteleuropa. Surtout, les échos et réminiscences thématiques ou harmoniques du Ring, des Maîtres chanteurs, ou même de Tristan et Parsifal dans le troisième acte, traduisent certainement une imprégnation davantage qu’un plagiat, tant ils surgissent avec une naïveté confondante. L’influence de Richard Strauss, qui avait dirigé la première de Hänsel et Gretel, n’est pas plus surprenante, particulièrement dans l’orchestration. En revanche, le charme un peu désuet de certaines mélodies rappelle parfois curieusement Lehar.

La distribution réunie pour l’occasion convainc pleinement, notamment les quatre rôles principaux: Ofelia Sala, claire et radieuse en gardienne d’oies, Jonas Kaufmann (le fils du roi) alternant vaillance du Heldentenor et raffinement du ténor lyrique, Detlef Roth, superbe ménétrier, et Nora Gubisch en sorcière sardonique, un registre un peu limité qui la situe quelque peu en retrait par rapport à ses partenaires. Une mention spéciale doit en outre être accordée à la pureté et la fraîcheur de Nelly Lawson (la petite sœur), issue de l’excellent chœur d’enfants Opéra Junior. L’ensemble est fermement tenu par Armin Jordan, familier comme nul autre de ce répertoire postromantique.






 
 
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