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Le Soir, 6 juin 2002 |
SERGE MARTIN |
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Berlioz: La Damnation de Faust, Bruxelles La Monnaie 4 juin 2002
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Opéra «.La Damnation de Faust.» à la Monnaie
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Opéra «.La Damnation de Faust.» à la
Monnaie avec José van Dam dans le rôle de Méphisto Berlioz à la découverte
de l'humain |
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Pappano signe sa dernière production à Bruxelles
avant son départ pour Londres. Mise en scène par Roland Aeschlimann, cette
version sublime de « La Damnation de Faust » montre un Méphistophélès
profondément humain.
En guise de salut final avant son départ pour
le Covent Garden de Londres (nous y consacrons un dossier complet demain),
Antonio Pappano souhaitait associer à sa dernière production de directeur
musical à la Monnaie ses complices de toujours : « notre » José van Dam
national ainsi que les choeurs et l'orchestre qu'il a dirigés durant dix
ans. Une distribution idéale pour « La Damnation de Faust » de Berlioz, une
oeuvre problématique à laquelle Roland Aeschlimann restitue toute sa
cohérence.
Monter « La Damnation de Faust » reste toujours un défi
audacieux. Berlioz lui-même avait ses doutes sur le statut de l'oeuvre qu'il
dénomma successivement « Opéra de concert » et « Légende dramatique ».
Admirable épopée musicale, le chef-d'oeuvre de Berlioz a tué plus d'un
metteur en scène. Garder ses distances face aux fantasmagories délirantes du
texte pose le problème d'une nécessité scénique. Vouloir les épouser, c'est
se condamner à n'être qu'un pâle copieur. Béjart a flirté ici avec le
surréalisme et tout récemment Lepage a envoûté le public de l'Opéra Bastille
par une orgie d'images. Roland Aeschlimann va plus loin. Mais plus
sobrement.
Il ne cherche pas à rivaliser avec le livret, il
l'intériorise. Un tel parti pris aurait pu nous conduire à une succession de
tableaux esthétisants. Et c'est vrai que les images de la production
dégagent un indicible bonheur visuel. Mais ce plaisir n'est jamais gratuit
car il devient l'expression d'un voyage intérieur. Les aventures de Faust
nous révèlent son monde intérieur, à l'aide de la symbolique subtile mais
omniprésente de quelques objets clés.
Le crayon avant tout. Celui du
créateur, qu'il soit savant ou poète. Celui du pacte signé avec
Méphistophélès, qui devient parfois un bâton de guerrier. L'octobasse
ensuite, qui devient une gigantesque contrebasse dont l'étui fait office de
cercueil. Ou encore cette image du labyrinthe qui décore le ballon avec
lequel joue innocemment Marguerite avant l'arrivée de Faust. Elle se
retrouve ensuite projetée sur le grand écran pour illustrer le périple
indécis des humains.
Et c'est sans doute ici que réside la clé de
voûte de la démarche d'Aeschlimann, qui cumule les fonctions de metteur en
scène, décorateur et éclairagiste. Cette « Damnation » nous parle autant des
hommes, inassouvis entre leurs désirs, que de leurs craintes. En nous
montrant l'homme face à son destin, elle crée sa vraie cohérence dans
l'intériorisation d'un récit pour lequel Aeschlimann sculpte littéralement
l'espace.
Cette conception humaine des protagonistes sert
admirablement le personnage de Méphisto, un homme comme les autres, sauf
qu'il pousse un peu plus loin le sarcasme et la dérision.
On reste
sidéré face à la noblesse que lui imprime José van Dam : de l'ironie certes,
mais avec un panache qui rend à chaque phrase sa juste portée. La Marguerite
de Susan Graham s'insère admirablement dans ce processus : un moment fragile
et naïf, sa « Gretchen » devient femme et épouse tous les émois de sa
condition. Un timbre de velours soutient ici une diction très précise qui
colore et vit chaque réplique de l'intérieur. Paradoxalement, c'est Faust
lui-même qui devient l'apparente victime de son voyage intérieur. Il cesse
d'occuper le premier plan d'un récit rêvé pour en devenir le prétexte. Jonas
Kaufmann, que l'on avait découvert ici même dans « L'enlèvement au sérail »,
triomphe de ce contre-emploi avec une diction qui révèle les côtés immatures
du personnage et un timbre qui embrasse ses élans inassouvis (en dépit de
passages de registres surprenants).
Protagonistes omniprésents, les
choeurs fournissant à l'action son décor sonore, tour à tour pastoraux ou
braillards, ils rêvent ou ricanent avant d'offrir à Marguerite une ineffable
apothéose finale. L'orchestre de Berlioz est complexe. Fou d'imagination, il
fait vite désordre quand il n'est pas maîtrisé avec une poigne d'acier.
Pappano lui insuffle une énergie irrépressible.
C'est lui et lui seul
qui s'adonne ici aux excès : il éructe, ricane, peste et tempête avec un
entrain vivifiant. Mais ailleurs, il rêve, caresse et apaise avec la plus
impalpable douceur. Ivre de trouvailles instrumentales, l'orchestre de
Berlioz est bel et bien le vrai protagoniste de ce voyage intérieur. |
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