Les
plus grands chanteurs ont abordé, un jour ou l’autre, ce chef-d’œuvre
absolu, véritable auto requiem d’un jeune homme qui se savait condamné. Bien
que disparu à 31 ans, Franz Schubert n’en demeure pas moins le maître
incontesté du lied. Ecrit à l’origine pour son ami ténor Voigl, dont
l’histoire nous parle d’une « petite voix », ce cycle, devenu mythique, est
passé par la suite dans toutes les tessitures masculines et féminines.
Le présent enregistrement revient donc à l’original, non que Jonas
Kaufmann est spécialement une « petite voix », mais dans le sens où nous
retrouvons ici les couleurs de timbre souhaitées par le compositeur pour
exprimer l’errance du maudit qui anime les 24 poèmes de Wilhelm Müller.
Ce voyage intérieur auquel nous convient Helmut Deutsch (piano) et celui qui
peut être considéré comme le plus grand ténor en activité aujourd’hui, est
de ceux dont on a du mal à se remettre.
Lorsque retentit le dernier
accord de l’ultime lied : Le joueur de vielle, celui qui semble nous dire
qu’après révoltes, espoirs et désespoirs, le voyageur trouve le chemin de la
sérénité dans les bras de la Mort, un froid glacial et perçant nous a déjà
envahi. Par le jeu de couleurs infinies dont il pare son interprétation,
Jonas Kaufmann parvient à l’ineffable, transmutant le texte par les
sortilèges d’une voix aux ressources naturelles et techniques inépuisables
en une sorte de psychanalyse du deuil amoureux.
Avec la colère et
l’abandon que ce cataclysme sous-entend. Loin des interprétations plus ou
moins métaphysiques et parfaitement distanciées, qui ont droit de cité bien
sûr, celle-ci, plus directe, humaine, presque charnelle, qui serre la gorge
de l’auditeur, est une option carrément moderne. Fuyant le pathos
intellectuel qui parfois et trop souvent submerge ce genre musical, cette
version plonge au plus profond de l’âme humaine. Vous n’en ressortirez pas
intact…
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