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TUTTI magazine |
Jean-Luc Lamouché |
Werther DVD, 10/10
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En
janvier 2010, l'Opéra Bastille donne Werther de Jules Massenet, une
représentation diffusée en direct à la télé et disponible maintenant en DVD.
Cette œuvre du patrimoine lyrique français - un opéra-comique à l'origine -
est portée par une équipe essentiellement francophone, en dehors du ténor
allemand Jonas Kaufmann. Michel Plasson dirige l'Orchestre de l'Opéra
National de Paris.
Il convient tout d'abord de rendre hommage au chef
français Michel Plasson, enfin reconnu à Paris. Il l'était depuis fort
longtemps au plan international depuis sa base toulousaine du Capitole et
avouons que nous ne sommes ici ni déçu par les performances du chef ni par
celle de l'orchestre. Michel Plasson maîtrise totalement son outil
orchestral, faisant ressentir dès le début du Prélude, la dimension
dramatique de l'œuvre. Puis il ajoute une tendresse inouïe, fondée sur une
transparence des plans sonores typiquement française, quelque part entre
Bizet et Debussy. On pourra ainsi apprécier pleinement la magnifique partie
symphonique du "Duo au clair de lune"… Sa direction habille progressivement
l'œuvre d'une dimension dramatique exceptionnelle qui deviendra
bouleversante à l'Acte III, avec la "Scène des lettres", et à l'Acte IV
lorsqu'on se rapproche de l'agonie puis de la mort de Werther et du
désespoir de Charlotte. Ensuite, tout au long de la partition, il place
l'orchestre au service des chanteurs, véritables bijoux qu'il intègre dans
un écrin symphonique.
Sur le plan vocal, nous sommes comblés par
Jonas Kaufmann et Sophie Koch, les deux principaux interprètes de cette
production parisienne. Leur incarnation juste de Werther et Sophie nous
montre les qualités de comédiens de ces merveilleux chanteurs.
Jonas
Kaufmann se glisse dans son personnage dès l'aria de l'Acte I : "… O nature,
pleine de grâce…". Son niveau de concentration apparaît comme exemplaire ;
il est Werther ! Un Werther doté d'une ligne de chant remarquable, d'une
voix d'airain associée à une assise de baryton. Sa prononciation du français
rivalise - tout en étant très différente - avec celle du grand Alfredo
Kraus, Le Werther de la deuxième moitié du siècle dernier. Ce splendide
interprète nous fait ensuite ressentir vocalement et dramatiquement toute la
souffrance de son personnage à l'Acte II, lorsqu'il subit en plein cœur la
réalité du mariage de Charlotte avec Albert ("Un autre est son époux…
J'aurais sur ma poitrine…"). À l'Acte III, Il réussit pleinement le Lied
d'Ossian et son si célèbre "Toute mon âme est là… Pourquoi me réveiller…".
Son timbre s'exprime de façon magnifique et révèle parfaitement la double
personnalité de Werther. Contrairement à son attitude un peu timorée au
début de l'ouvrage, il devient de plus en plus entreprenant à l'égard de
Charlotte dans une progression bien calculée qui enrichit le personnage.
La mezzo-soprano Sophie Koch offre elle aussi une performance
remarquable. Alors surtout connue à Londres, Dresde ou Vienne, gageons que
sa prestation dans ce Werther fut sans doute une révélation pour de nombreux
spectateurs… Angoissée par les nouvelles qu'elle a reçues de Werther, elle
dote la fameuse "Scène des Lettres" de l'Acte III d'une intensité dramatique
comparable à celle des lettres de Tatiana dans Eugène Onéguine de
Tchaïkovsky. Sur le plan vocal, elle développe une tessiture assez
impressionnante, dépassant souvent le cadre d'une mezzo-soprano par ses
graves appuyés mais aussi des aigus parfaitement maîtrisés.
Sans
tomber dans l'excès critique positif, le plus exceptionnel est atteint avec
les airs rassemblant les deux personnages clés.
Le célèbre "Duo au
clair de lune" de l'Acte I, repris à l'Acte II comme un leitmotiv wagnérien,
diffuse une grande tendresse tant musicale que scénique, avec de petits
gestes à peine osés, à l'image de ceux qu'affectionnait tant Massenet au
point de les introduire dans nombre de ses opéras. Cette tendresse d'un
Werther, ému par ce qu'il ressent pour Charlotte, permet à Jonas Kaufmann
d'utiliser une voix très douce pendant ce duo, allant jusqu'à une émission
entre registre de poitrine et de tête, une technique très difficile
parfaitement gérée ici. Le duo de l'Acte III, après la "Scène des
lettres", est d'une grande teneur dramatique, tant vocalement que sur le
plan du jeu. Quant à celui de l'agonie et de la mort de Werther, à l'Acte
IV, il figurera sans doute parmi les grands moments de l'histoire de l'Opéra
Bastille ! Après le "chant du cygne" du héros gœthéen, nous transitons du
dramatique au tragique. Les deux interprètes, juste avant que Werther
n'expire, vivent pleinement l'amour qui unit leurs personnages quelques
courtes minutes, couchés sur le sol dans la petite chambre du héros. Werther
meurt puis Charlotte, dans un chant susurré, exprime un poignant "… Tout est
fini…".
Cette incontestable réussite de Jonas Kaufmann et Sophie Koch
ne saurait toutefois laisser dans l'ombre celle des autres interprètes de la
distribution. Ludovic Tézier incarne un Albert d'un superbe niveau
artistique. On situera sa prestation vocale dans la grande tradition des
barytons français d'avant les années 70, période faste pour ce type de voix
masculine. Quant à sa présence dramatique tout au long du livret, elle
permet à l'interprète de tirer son épingle du jeu, même si son rôle ne
comporte aucun véritable grand air. Albert dispose cependant de pages très
belles à l'Acte II : "Trois mois ! Voici trois mois que nous sommes unis…",
début d'un duo avec Charlotte, puis "Au bonheur dont mon âme est pleine,
ami…" et "Je vous sais un cœur loyal et fort", qui introduit un dialogue
avec Werther. La réussite du chanteur est totale.
On pourra aussi
admirer la Sophie incarnée par Anne-Catherine Gillet. Elle nous enchante par
sa voix de soprano léger, lyrique, voire colorature, mais aussi par son
physique, tellement crédible par rapport au très jeune âge supposé du
personnage. Alain Vernhes interprète un très bon Bailli. Son expérience
et sa maîtrise sont ici totales. Un mot également sur le chœur d'enfants
en tout point remarquable.
Enfin, la conception d'ensemble de la mise
en scène, des décors et des costumes se montre classique. Le réalisateur de
cinéma Benoît Jacquot, connu notamment pour son film d'opéra Tosca réalisé
en 2001, signe une mise en scène traditionnelle et convaincante, laquelle,
quoi qu'en disent certains, a enchanté le public présent dans la grande
salle de Bastille. Quant au spectateur du DVD, il bénéficiera à plusieurs
reprises de plans provenant de caméras placées dans les cintres à l'origine
d'images assez rares et très impressionnantes. On peut sans doute voir là
une marque de la façon très "cinéma" qu'à Benoît Jacquot de filmer sa propre
mise en scène.
De fait, cette production de Werther ne présente
aucune faiblesse. La réussite est même vraiment totale…
Nous
attendons impatiemment la sortie d'un Blu-ray de cette captation ! |
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