Qobuz/Classica, 30 novembre 2010
André Tubeuf
Etats de grâce
 
 
Images superbes et d’une très belle qualité de lumière (l’ombre aussi). Et sonorités d’une vérité grisante, aubaine s’agissant de telles voix, et de tels instruments. On regrette un peu que l’image plus d’une fois et inutilement quitte la scène pour la coulisse et y revienne, ou délaisse les personnages pour saisir un moment d’orchestre : si le document y gagne, la tension créée chez le spectateur, l’hypnotisme qui le fixe à la scène, ce faux-semblant qui est le seul vrai théâtral y perdent. La présence des deux protagonistes est telle que la magie se rétablit vite, d’autant que Jacquot leur laisse (comme metteur en scène) et leur capte (comme cinéaste) ce qu’ils ont de plus naturel, la simplicité et l’innocence du regard, le frémissement, les réticences.

À eux trois, ce Werther, cette Charlotte et ce metteur en scène nous font vivre un affrontement d’âmes et d’intériorités comme la scène lyrique n’en montre guère. Avec cette phrase et ce français princiers, ce métal dramatique vibrant, cet œil et ce port qui parlent, ce frémissement d’ensemble, Werther est l’incarnation qui demande à notre suprême Beau Ténébreux le plus divers, le plus profond, le moins public et plus secret, finalement le plus rare et précieux des qualités qui le font unique. Boutonnée autant qu’ardente, on ne trouvera en Sophie Koch ni le timbre émotionnel ni le grave éloquent d’une Rita Gorr mais la charge d’une tension terrible est toujours douloureusement perceptible dans ce personnage essentiellement tenu, et qui se libère dans une défaite tragique, littéralement décomposée, dans des aigus phénoménaux et une Prière comme on ne se souvient pas d’en avoir entendue !

Un tiers de Werther a cruellement vieilli, c’est sûr, et porte en fardeau les conventions qui lui ont permis de naître. Un autre est du meilleur opéra. Mais un dernier, échappant à toute convention et tout critère lyrique, se laisse emporter par une grâce théâtrale et poétique venue d’ailleurs, et ouvre toutes fenêtres. Avec Plasson qui sait faire chanter ici l’implicite, avec ce couple roi, c’est un chef-d’œuvre inspiré qui se trouve remis à sa difficile hauteur, son escarpement solitaire et hors mode.
 
 






 
 
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