Diapason, Janvier 2011
Emmanuel Dupuy
Noël ! Noël ! Noël !
L'événement du mois
 
Le cinéaste Benoît Jacquot a filmé sa propre mise en scène de l'opéra de Massenet. Le résultat ? Un miracle. Jamais nous n'avions partagé autant qu'avec ce DVD les souffrances du jeune Werther.

Il arrive que certains spectacles soient transfigurés par les caméras. C'est le cas de ce Werther dont la fibre émotionnelle se perdait dans l'immensité réfrigérante de Bastille (cf. notre compte rendu, n° 577). Benoît Jacquot est avant tout cinéaste, et il a déployé là tout son art, filmant lui-même, au plus près-pour ainsi dire « de l'intérieur » - sa propre mise en scène. Il ne nous cache rien, ni les coulisses, ni l'envers du décor, ni les visages, surtout pas ces regards et cette foule de petits gestes presque anodins mais dans lesquels se lit toute la vérité du drame. Ce qui, depuis la salle, aux deux premiers actes, pouvait paraître convention, se mue en une peinture des caractères d'une sidérante justesse. Le III, dans un superbe intérieur éclairé alla Vermeer, reste un modèle de réalisme psychologique : jamais les conflits qui déchirent Charlotte, jamais le désespoir de Werther, la violence froide d'Albert, n'auront paru si évidents. Au IV, l'agonie du héros, ses dernières étreintes et son renoncement, filmés en plan serré à la lueur d'une pauvre chandelle, sont simplement à pleurer.

Comme par miracle, tout prend un sens supérieur, à commencer par l'incarnation de Jonas Kaufmann, si peu « latin tenor », mais tellement identifié au personnage de Goethe, taciturne et dépressif, que sa seule présence nous bouleverse. Pudeur, précision du chant et de la diction, tourments, maîtrise musicale absolue, Werther est vivant et meurt pour nous. Admirable Charlotte, aussi, de Sophie Koch, jeune, affligée, d'une féminité vibrante, donnant tout d'elle-même, autant dans l'abandon des lettres que dans la ferveur d'une prière enflammée. Albert idéal de Ludovic Tézier, d'une brutalité contenue et effrayante, et idéale Sophie d'Anne-Catherine Gillet, tout en charmes pétillants. Bailli anthologique d'Alain Vernhes, impeccables compères d'Andreas Jâggi et Christian Tréguier : peut-on rêver plus parfait plateau ?

La direction de Michel Plasson gagne elle aussi beaucoup à la proximité qu'offrent les micros. La langueur des tempos, les teintes automnales, la mélancolie des phrasés créent un climat d'une poésie étreignante. Les scènes de comédie du début manquent un peu d'éclat, certes, mais l'intériorité et les mille cordes sensibles de ce qui suit vous tirent les larmes à chaque instant.
Si vous n'étiez pas à Bastille la saison dernière, ce DVD sera bien plus qu'une consolation : une radiographie des âmes, un reportage au coeur du geste artistique, l'exemple même de ce que devrait être toute captation d'opéra.
 






 
 
  www.jkaufmann.info back top