Diapason, mars 2013
Emmanuel Dupuy
Diapason d'or du mois - Plage 2 de notre CD
 
Wagner se lève à l'Est
Après la tragique disette des dernières décennies, les voix wagnériennes sont de retour!
 
La dernière fois que l'on avait collé notre Diapason d'or sur une intégrale Wagner, c'était... il y a très longtemps. Le miracle nous vient de Saint-Pétersbourg, où le généreux mécénat d'une comtesse nippo-italienne a permis au Mariinski de réunir un plateau inespéré. Au même moment, pour fêter le bicentenaire du maître, la major Universel ne peut proposer qu'un récital.., dont le héros est tout de même un certain Jonas Kaufmann.

Soyons clairs : pour le mythe, le sang et les larmes, l'Histoire avec un grand H, on se reportera toujours aux géants du siècle dernier, de Krauss à Böhm en passant par Keilberth ou Knappertsbusch et leurs équipes enragées. Gergiev n'est pas un visionnaire et il ne s'en cache pas. Si l'on était méchant - et un rien simpliste - on dirait qu'il dirige Wagner comme Tchaïkovski. Et alors ? Ces cordes dont les flots de soie sertissent de mille étoiles l'éveil de la passion amoureuse au I, cette lumière qui jamais n'écrase le drame sous le plomb, ce geste qui ignore les baisses de tension, ces fulgurances même, imposent à sa Walkyrie une forme de jubilation que l'on aurait tort de bouder.

Nul cosmos ici, plus de musique que de métaphysique, la vivacité de l'instant l'emporte sur la grande forme. Mais le théâtre triomphe. Comme le chant. Car après la tragique disette des dernières décennies, les voix wagnériennes sont de retour.

On craint d'abord que Mikhail Petrenko, de sa grosse voix, ne fafnérise à l'excès son Hunding ; inquiétude vite dissipée par ses qualités d'allègement et de diction qui rendent au personnage sa sournoiserie coutumière. Pas matrone pour un sou, Ekaterina Gubanova ne force jamais le trait de sa Fricka à la noblesse blessée et au galbe divin, qui affronte le Wotan de René Pape. Celui-ci, on s'en doute, n'a pas la gueule d'un Hotter, ni même le muscle d'un Theo Adam ; en ses extrêmes, la tessiture est éprouvée dans les passages les plus tendus. Trop humain ce Wotan ? Peut-être, mais les talents du diseur émerveillent dans les récits du II ; et quand vient le temps des adieux, avec des trésors de legato et de douceur, l'artiste fait vibrer toutes les cordes sensibles du père déchiré - adieux que Gergiev love dans le plus délicat des écrins.

Pour que le bonheur soit complet, il nous aurait juste fallu une Sieglinde à l'aigu un peu plus vaillant et à l'émission moins vibrante (dans l'idéal, une Westbroek) ; si les emportements du II et du III montreront Anja Kampe à la limite du tolérable, au I, la précision de la ligne et du mot, la nuance du sentiment (« Du bist der Lenz » en extase) sauvent in extremis son incarnation.

Surtout, resplendissent deux joyaux : le Siegmund déjà anthologique de Jonas Kaufmann (cf. n° 609 notre critique du DVD newyorkais) et la Brünnhilde tout aussi historique de Nina Stemme, enfin immortalisée ! Lui, égal en hardiesse à un Vinay ou un Vickers, la séduction du timbre en plus: « Ein Schwert Verhiess mir der Vater », d'une puissance à vous clouer sur place, avec ses « Wälse » lancés sans complexe, comme au bon vieux temps, « Winterstürme » bercé par toutes les caresses d'un Tamino. Elle... comment trouver les mots ? Des « Hojotoho !» décochés en un sourire, la féminité en étendard, l'émission d'une égalité et d'une plénitude constantes, le souffle de Flagstad, les phrasés de Margaret Price... Rien que pour le face-à-face de ces deux-là, on chérira longtemps cette Walkyrie. Première étape d'un Ring dont on attend la suite de pied ferme !





 
 






 
 
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