Diapason, Mars 2013
Emmanuel Dupuy
 
Kaufmann - Wagner
Diapason d'or du mois - plage 1 de notre CD
Comble de bonheur, au même moment, Jonas Kaufmann nous offre le récital Wagner qu'il nous devait, tant le métal, de plus en plus sombre, le verbe, d'une évidence stupéfiante, l'ampleur, le prédestinent aux ouvrages du maître de Bayreuth. Première surprise (divine) : le ténor n'hésite pas à prendre le masque de personnages qu'il n'a pas (encore) chantés en scène. Rienzi (oui, mais le si lyrique (« Allmächt'ger Vater ») , Siegfried (oui, mais la forêt et ses délicatesses, plutôt que la forge et ses éclats surhumains), Tannhäuser (le récit de Rome ! ).

Auparavant, voici à nouveau son Siegmund (« Ein Schwert »), égal à sa légende. Voici aussi Walther des Maîtres chanteurs : le fugace « Am stillen Herd » de l'acte I lui va comme un gant - ce dont on se doutait depuis qu'il a gravé le plus conséquent « Morgenlich » (cf. n°563). Mais pourquoi Kaufmann refait-il son (génial) « In fernem Land » de Lohengrin, naguère enregistré (génialement) avec Abbado (cf. n°573) ? On nous dira que l'incarnation a mûri de la fréquentation du rôle, ce qui est vrai, que la voix s'est corsée, ce qui n'est pas faux. Mais on aurait bien repris un peu de Siegfried (le récit du III au Crépuscule par exemple) ! Ne chipotons pas : partout triomphe la force fragile du guerrier poète, nature ténébreuse davantage encline aux mélancolies romantiques qu'à un héroïsme primaire, lovée dans les exquises rudesses d'une diction aux « r » généreusement roulés, illuminée par un arc-en-ciel de nuances comme seul Wunderlich nous en offrait en d'autres contrées musicales. Un sommet ? Ce Récit de Rome dont il va chercher les tourments au plus profond de l'âme. C'est là, aussi, que Runnicles, ailleurs un rien prosaïque, se montre le plus inspiré, sidéré sans doute par l'autorité de l'incarnation. Seconde surprise : Kaufmann ose... les cinq Wesendonck Lieder. « Für eine Frauenstimme [voix de femme] und Klavier », précise pourtant Wagner sur l'autographe de sa partition, avant de laisser à Felix Möttl le soin d'en achever l'orchestration. Détournement ? Peut-être. Mais avant tout accomplissement. Bien qu'écrits par la main féminine de Mathilde Wesendonck, les textes n'ont nulle identité sexuelle. D'autres voix masculines n'ont donc pas craint très tôt de s'y aventurer - à commencer par Lauritz Melchior qui gravait dans les années 1920 Schmerzen et Träume. Kaufmann nous donne les Wesendonck Lieder les plus inattendus, les plus déroutants, mais aussi les plus spontanés et instinctifs de toute la discographie, les pieds sur terre, la tête dans les étoiles - on aimerait juste y entendre de-ci de-là un orchestre un peu plus concerné. La douleur apaisée de Der Engel, plus encore les ardeurs de Stehe still ! et Schmerzen ont-elles jamais été chantées avec une telle sincérité ? Et s'étonnera-t-on qu'il faille rendre les armes - et verser nos larmes - face à Im Treibhaus et Träume, ces deux « études » pour Tristan et Isolde où l'artiste s'abandonne aux délices de la passion amoureuse ? Célestes prémonitions, sans doute, d'un rôle auquel il ne pourra bien longtemps se soustraire... face à l'Isolde de Nina Stemme ? Il est désormais permis de rêver !






 
 






 
 
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