|
|
|
|
|
Classique News, 8 février 2013 |
par Carl Fisher |
|
Match Klaus Florian Vogt / Jonas Kaufmann
|
Vogt versus Kaufmann 2 ténors wagnériens au disque |
|
L'année
Wagner produit ses premiers effets. Deux majors éditent simultanément en
février 2013, deux nouveaux récitals lyriques mettant en avant les qualités
de leur champion respectif: Sony classical sans traduction française dans le
livret (anglais et allemand essentiellement) célèbre le beau chant élégiaque
voire rien qu'angélique de Klaus Florian Vogt, tandis que Decca joue la
carte du bad boy (lumière jaune, frontale et bilieuse sur sa face
diabolisée) avec l'immense Jonas Kaufmann: la parution des deux récitals
titres est d'autant plus passionnante qu'il s'agit là de deux styles
diamétralement opposés.
Cependant les deux interprètes, chacun dans
deux styles différents, partagent ce goût, ce style, cette finesse souvent
absentes des performances wagnériennes. La comparaison quant à elle s'impose
dans le choix des morceaux retenus : on y retrouve Rienzi et Siegmund, ici
et là bien présents, diversemment défendus.
Chacun écrit et rééclaire
à sa façon l'histoire du chant wagnérien, finalement peu connu et souvent
schématisé jusqu'à la caricature, où les décibels l'emportent sur toute
intonation et nuance. Ici le studio aidant, la ciselure prosodique en gagne
un relief et une nouvelle précision: chant articulé, chant surtout intimiste
que les conditions aléatoires des salles de théâtres ou de concerts ne
réalisent pas toujours. Le studio et l'enregistrement rétablissent donc le
chambrisme proche du texte, révélant la qualité de diseur plutôt que celle
du stantor. L'un Vogt, par la clarté du timbre illumine le texte de Wagner
s'intéressant apparemment moins à la situation dramatique ; le second
aspire, concentre, intériorise toute la force dramatique du personnage,
n'hésitant pas a contrario de son collègue, la noirceur, les couleurs les
plus brumeuses de sa tessiture... de baryténor ?
KAUFMANN WAGNER
(Decca, Berlin 2012) Kaufmann apporte un tout autre souffle à
l'interprétation wagnérienne: on ne lui connaît pas de prédécesseur à ce
jour: sauf peut-être John Vickers; son timbre cuivré, traversé par la
passion volcanique apporte le sanguin et le latin dans le chant germanique.
En témoigne, le premier air, "Ein Schwert verhieß mir der Vater", également
sélectionné par Klaus Florian Vogt, et qui dans le récital de Jonas K, ouvre
le récital: couleurs sombres, à la fois schubertiennes et weberiennes, le
ténor aborde l'air à la façon d'une incantation infernale où l'effort pour
se libérer du poison de la malédiction s'exprime avec ardeur. A l'heure où
les Siegfried manque terriblement, capables d'un chant de force, héroïque
mais aussi émotionnel et subtil, Kaufmann montre à quel point dans le second
air, il est prêt pour chanter le rôle: le héros vainqueur du dragon Fafner,
s'ouvre miraculeusement aux sons de la nature, révélant sous l'armure du
preux valeureux, la pureté d'une âme sensible dont la fragilité secrète
s'exprime dans la quête des origines (qui était sa mère?). La richesse des
nuances, l'ambivalence expressive de l'incarnation, le sens du texte (et lui
aussi, quel fabuleux diseur qui sait son Bach et son Schubert) promet l'un
des Siegfried les plus captivants à écouter bientôt sur la scène.
Plus généreux que Vogt dans son récital Sony, Kaufmann nous offre
Allmächt'ger Vater de Rienzi, dans tout son développement: l'occasion sur la
durée de pénétrer dans ce premier portrait de figure admirable: Wagner y
aborde pour la première fois, avant Lohengrin, Siegfried et Parsifal,
l'homme providentiel, sujet d'une irrésistible carrière au service de la
vertu politique à laquelle répond inéluctablement son pendant tragique et
noir: sa solitude, son exil, sa mort finale. Donal Runnicles et l'Orchestre
der Deutschen Oper de Berlin savent à l'exemple du soliste, affiner et
colorer dans la subtilité le lyrisme pluriel de la musique (superbe entrée
par l'orchestre)... Voilé, brumeux, flou mais terriblement présent comme le
chant d'une âme maudite aspirant à la perfection, le style de Jonas Kaufmann
s'impose à nous dans sa force, sa justesse, sa touchante vérité. Son
Lohengrin moins lisse que celui de Vogt, porte toutes les tempêtes endurées:
le fils de Parsifal s'y déverse en rancœur, frustration, imprécation, telle
une transe émotionnelle qui en impose par ses teintes et ses nuances
expressives. Un immense acteur, interprète accompli se dévoile à nouveau
ici.
Lyrique selon une sélection choisie, le récital de Kaufmann
gagne davantage de poids encore dans sa seconde partie, d'autant qu'il est
accompagné par un orchestre aux accents et nuances complices, d'une richesse
poétique exemplaire.
Diseur embrasé et halluciné même, chantre de
l'âme romantique qui en terres germaniques fait surgir ses accents Sensucht,
entre nostalgie et mystère impénétrable, le ténor relève encore le niveau
dans les 5 mélodies d'après Mathilde Wesendonck, l'amour inaccessible de
Wagner... alors en pleine crise. S'il ne devait rester qu'un seul titre, la
3è s'impose, préfiguration de Tristan: Wagner est alors le héros qui
s'efface, détruit par une langueur amoureuse inguérissable, emprisonné
tragique à la douleur d'une passion avortée... à la fois sombre et
magnifiquement articulé, le chant de Jonas Kaufmann demeure irrésistible.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|