Opéra, octobre 2012
Richard Martet
 
COUP DE CŒUR - Impressionnant
Pour son entrée chez Sony, Jonas Kaufmann signe le disque le plus marquant, à ce jour, de l'année Verdi.
Après un Verismo Arias (Decca) qui nous avait autant irrités à certains moments que séduits à d'autres (voir O. M. n° 55 p. 78 d'octobre 2010), Verdi n'était pas le territoire sur lequel nous nous attendions à être emballés par Jonas Kaufmann, du moins au disque. À la scène, s'agissant d'un «chanteur-acteur» aussi doué, il en va, bien sûr, tout autrement Le résultat est pourtant enthousiasmant Pour deux raisons principales. D'abord, le ténor allemand, doté d'une voix très sombre, évite d'en rajouter dans la couverture artificielle du son et les effets « barytonnants» ; il cherche même à ouvrir et à éclaircir davantage, sans avoir recours, pour une fois, à un excès de détimbrage. «La donna è mobile», prototype de l'aria où un instrument placé aussi bas n'a, a priori rien à prouver, y gagne une crédibilité et un punch qui forcent le respect.

Le programme, ensuite, est remarquablement composé, avec des airs qui, contrairement à ce qui se passait dans l'album «vériste», s'accommodent tous de ce climat de passion exacerbée, de violence et de tragédie, instauré à grand renfort d'accents puissamment martelés et d'aigus poussés au paroxysme. C'est évidemment le cas des deux interventions d'Otello (« Dio ! mi potevi scagliar» et «Niun mi tema»), ténor dramatique par excellence et authentique psychopathe, où Jonas Kaufmann atteint comme on pouvait s'y attendre, des sommets d'intensité et d'émotion. Mais aussi des héros maudits de Schiller, tels Carlo d'I masnadieri, Rodolfo de Luisa Miller et Don Carlo (le duo du Il avec le Posa de Franco Vassallo, solide mais sans relief particulier), de Don Alvaro dans La forza del destin (jamais l'appel au secours de «O tu, che in seno agli angeli» n'a retenti avec autant d'urgence), ou encore de Gabriele Adorno (l'énergie et la véhémence du récitatif «O inferno !» clouent sur place).

Riccardo d'Un ballo in maschera n'a pas les mêmes instincts meurtriers et/ou suicidaires. Pourtant, Jonas Kaufmann réussit à insuffler dans «Di' tu se fedele» et «Ma se m'è forza perderti» une dose d'angoisse, une sorte d'anticipation de la tragédie à venir, qui captivent. Surtout que l'interprète se montre de bout en bout nuancé, usant savamment du sforzando et délivrant, par exemple, un «Ah, la paterna mono» de Macbeth impeccablement conduit sur le souffle et véritablement bouleversant Dans ce disque, qui s'écoute avec un plaisir d'autant plus vif que le ténor veille à différencier chacun des onze personnages abordés, notre moment préféré — s'il en existe un — est peut-être «Celeste Aida», conclu sur un si bémol piano diminuendo sidérant où Jonas Kaufmann parvient dans une romance amoureuse o prion toute simple, à laisser affleurer l'imminence d'un engrenage fatal.

L'Orchestra dell'Opera di Parma n'est pas le plus enivrant au monde, mais son clarinettiste mérite une mention pour le magnifique prélude de l'acte III de La forza del destina Quant à Pier Giorgio Morandi, il a pour principal mérite de se mettre au service du ténor, en particulier dans des choix de tempi parfois déroutants mais toujours justifiés.

Au bilan, un disque exceptionnel, où Kaufmann, en rappelant tour à tour Mario del Monaco, Franco Corelli et Jon Vickers, réussit à imposer un ton et un style extrêmement personnels. Ceux qui veulent à tout prix, du soleil dans Verdi passeront sans doute leur chemin. Les autres, comme nous, appelleront de leurs voeux un deuxième album !


 
 






 
 
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