Resmusica, le 12 novembre 2021
par Jean-Luc Clairet
 
 
Un nouveau label et une Tote Stadt de rêve à l’Opéra de Munich
 
Jonas Kaufmann, Kirill Petrenko, Simon Stone. Une affiche idéale pour la première parution lyrique du nouveau label de l’Opéra de Munich : Bayrerische Staatsoper Recordings.
 
Plus on écoute le troisième des six opéras d’Erich Wolfgang Korngold, et plus on en découvre, au-delà de l’immarcescible Marietta’s Lied, l’inépuisable richesse. Surtout avec, pour ce qui fut sa première mise en scène lyrique, le guide de choix qu’est Simon Stone : une approche de type psychanalytique dont l’allant narratif ne s’égare jamais dans l’étouffant labyrinthe dramaturgique d’une œuvre longtemps suspectée de boursouflure.

Munich a eu raison, en 2019, d’offrir à Jonas Kaufmann l’écrin de cette sensationnelle production venue du Theater Basel. Même si les interprètes de la scène bâloise étaient loin de démériter, la prise de rôle du ténor est le joyau de ce DVD. Toujours très à l’aise dans les héros torturés, Kaufmann se coule avec aisance dans la tête complexe de Paul, jeune veuf obsédé par la mort de sa femme. Du rôle, lourd jusqu’à l’indigeste, véritable condensé des ténors wagnériens et straussiens (Kollo y brilla), Kaufmann brosse un portrait investi et nuancé. Le discours, bâti sur un médium introspectif et des aigus enfantés par des piani enflés, captive. On est fasciné de même par sa partenaire, Marlis Petersen. Confondante d’aisance, la chanteuse et l’actrice, dont l’on a, cette saison, admiré la Maréchale avec Kosky, passe avec beaucoup de subtilité de la rouerie de Marietta au pathétisme désespéré de Marie. Le Frank d’Andrzej Filończyk, dont la noblesse de timbre rappelle le jeune Prey, et la Brigitta de Jennifer Johnston accompagnent de leur belle présence le jeu de ces bêtes de scène. Les rôles secondaires (sans qui l’Acte II serait pour partie vidé de sens) de Juliette, Lucienne, Gaston, Victorin, Albert demandent également beaucoup aux merveilleux Mirjam Mesak, Corinna Scheurle, Manuel Gïunther et Dean Power.

L’engagement de Kirill Petrenko à la tête du Bayerische Staatsorchester est manifeste. La captation de Myriam Hoyer (superbe définition) à laquelle on ne fera reproche qu’un abus de plans trop larges amenuisant la force du beau décor de Ralph Myers (sa modernité architecturale s’accommode mal du cadre de scène néo-classique du Nationaltheater), en se refermant sur un plan recueilli des deux mains libérées de leur corps du chef, rend un hommage mérité à l’ampleur d’une direction toujours à l’écoute de la sensuelle partition. Chœur et chœur d’enfants, démultipliant de façon cauchemardesque les protagonistes, sont l’autre pièce maîtresse de ce suspense hitchcockien aux nombreux coups de théâtre.

Délaissant le folklore XIXᵉ du livret de Paul Schott (de fait le propre père de Korngold, Julius Korngold, lequel n’hésita pas à emprunter son pseudonyme au héros du roman originel de Georges Rodenbach, Brugges-la-Morte), Simon Stone opte pour le huis clos mental d’une psyché convalescente dans les murs XXᵉ d’un appartement élégant mais hanté (on y frissonne à la vue de moult Marie chauves en chimiothérapie), placardé de référence cinématographiques (Blow up avec son cadavre dans le placard vu – comme Paul ? – par l’œil d’un seul ; Pierrot le fou, la clé du personnage ?). Monté sur tournette, le dispositif scénique évacue canaux et églises au profit d’un puzzle de pièces sujettes aux travellings et même à l’empilage. Des pièces dont les bégaiements du système électrique sont annonciateurs, comme dans certain stimulant Tristan pour Aix en Provence l’été dernier, de voyages intérieurs à haut risque.

Embarquement addictif hautement recommandé pour cette Ville Morte virtuose qui inaugure avec éclat la naissance d’un nouveau label, celui d’une maison d’opéra dont l’on sait déjà qu’elle aura beaucoup à proposer.
 






 
 
  www.jkaufmann.info back top