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Forumopera, 11/10/12
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par Jean-Philippe Thiellay |
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Gheorghiu, Kaufmann, Terfel : trois étoiles dans le ciel romain
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Pour
quelles raisons un éditeur comme EMI décide-t-il de lancer sur le
marché un nouveau DVD de Tosca, un des opéras dont la vidéographie
est la plus abondante, alors surtout que la production londonienne
choisie est une reprise de la saison 2006 ? Elles tiennent en trois
noms : Gheorghiu, Kaufmann et Terfel qui forment, avec le chef
maison, un quatuor gagnant pour reprendre l’expression de Placido
Carrerotti, notre envoyé spécial à Londres, en juillet 2011 (voir
recension).
Il faut dire qu’une Tosca bénéficiant de trois
stars mondiales en bonne forme peut être une des expériences les plus
électrisantes que puisse vivre un spectateur. Angela Gheorghiu, aussi
curieux que cela puisse paraître car elle a incarné le rôle sur de
nombreuses scènes mondiales depuis des années, lègue au DVD sa
première incarnation live, le film de Benoît Jacquot relevant d’un
autre type d’exercice. Vocalement, la captation intervient un peu
tard (le bas medium disparaît souvent) et le jeu sur scène de la
soprano roumaine est souvent caricatural. Angela joue à Floria, avec
ses robes, ses diadèmes, ses coiffures, ses minauderies. Mais toutes
les deux sont des stars ! Et ce qui pourrait être ridicule et
insupportable par une autre, ou dans un autre rôle, devient ici une
pierre de l’édifice, très premier degré. Et Angela Gheorghiu reste
une des plus grandes artistes lyriques de notre temps.
Son amant est au diapason. Jonas Kaufmann n’a certes pas
trouvé en Cavaradossi son rôle idéal, pour de nombreuses raisons que
Sylvain Fort rappelait pertinemment en chroniquant un DVD zurichois.
Par rapport à certains enregistrements de la fin des années 2000, le
ténor semble même avoir perdu en souplesse et ses piani et autres
demi-teintes, quoique sublimes techniquement, ne sont pas loin d’être
par trop systématiques. Au début du III, la direction de Pappano se
montre gentiment complice, du reste, avec des tempi alanguis. La
prestation vocale reste de très haut niveau, avec un La dièse sur «
Vittoria » glorieux. Scéniquement, Kaufmann paraît laissé à lui-même.
Dommage.
Mais le triomphateur de la soirée, au DVD
comme à la scène, est le Scarpia de Bryn Terfel. Physiquement
repoussant – les gros plans sur la barbe, la sueur et les replis du
visage adipeux accentuent ce sentiment -, il incarne la brutalité à
l’état pur et son personnage est habité. Il faut dire que l’acteur
est une bête de scène, qui se coulait déjà parfaitement dans une
production moderne signée Nicolas Lenhoff en 1998 à Amsterdam. Sa
prestation n’appelle aucune réserve, même si, après quatorze ans de
Scarpia sur scène, le matériau vocal n’est plus ce qu’il était, en
particulier dans l’aigu. Mais Scarpia n’est pas un baryton clair et
le rôle, quoique tendu, convient bien au solide Gallois.
A
côté de ce trio, la direction d’Antonio Pappano déçoit. Le chef
italien n’apporte pas autre chose qu’une lecture classique, au
service des chanteurs. D’un artiste de ce niveau, on attendait mieux.
Les comprimarii n’appellent pas de critique ou de louange
particulière, la prononciation de l’italien laissant ici et là à
désirer.
Ce DVD vient au final se placer très haut dans la
vidéographie du chef d’œuvre de Puccini. Pendant deux heures (le
bonus ne compte guère sauf, pour sourire, lorsqu’on surprend Terfel
en train d’envoyer des SMS pendant que la Gheorghiu et Kaufmann
répètent…), on est scotché sur son fauteuil par la performance des
rôles principaux auxquels la production de 2006 sert d’écrin. Si, on
l’a dit, la direction d’acteurs ne brille pas (les poses affectées de
la soprano ; les airs excédés du ténor face au sacristain ; le coup
de tête du baryton !), les décors jouent efficacement leur rôle dans
la montée de l’angoisse, tout au long des trois actes : Sant’Andrea
della Valle écrase le spectateur, glissé au bas d’une crypte étroite
à l’entrée de laquelle Cavaradossi et Angelotti s’affaire ; le bureau
de Scarpia au Farnèse est dans un désordre discret qui marque les
temps troublés; quant au toit du Château Saint-Ange, il est surmonté
d’une sorte de nuage menaçant. Tout cela est du travail soigné, à
recommander vivement.
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