L'opéra, Magazine, November 2008
Richard Martet
COUP DE COEUR
Un ténor d’exception
Attendu en France depuis de longs mois, le premier récital lyrique de Jonas Kaufmann confirme le formidable talent du ténor allemand.
Nous attendions avec une certaine impatience la sortie du premier récital d’airs d’opéras de Jonas Kaufmann, considéré par de plus en plus de mélomanes comme le meilleur ténor en activité aujourd’hui. Et nous n’avons pas été déçus, ce disque au programme pourtant ambitieux et hérissé de pièges s’avérant l’un des plus captivants de l’année.

La voix d’abord sombre, moins juvénile que le physique, mais qui accroche dès les premières notes. L'aigu est facile, le bas médium robuste, le grave sonore sans aucun truquage, et les registres sont homogènes. Mais cela ne serait rien sans un exceptionnel instinct dramatique qui permet au ténor de construire un personnage à chaque fois différent. Qu’il soit en allemand, en français ou en italien, le texte est toujours remarquablement mis en valeur, avec cette façon extraordinaire d’éclairer une phrase ou une syllabe d’un jour nouveau. La pierre d’achoppement se situe dans le répertoire italien. La couleur de la voix est justement tellement peu «italienne», et le refus d’ouvrir les voyelles tellement systématique, que l’attaque de «tubes» tels que « Che gelida manina» ou « E lucevan le stelle» surprend. L’extrait de La Bohème ouvrant le récital, on peut même imaginer que certains auditeurs seront déboussolés, sinon irrités, que l’on fasse un tel battage autour d’un Rodolfo à ce point dépourvu de soleil dans le timbre pour réchauffer la main de la pauvre Mimi. Sauf que le Rodolfo en question a d’autres atouts dans sa manche, à commencer par un sens du théâtre et une intelligence du chant qui balaient in fine toute réserve, là comme dans Tosca ou Don Carlo. Seuls La traviata et Rigoletto continuent, après plusieurs écoutes, à nous paraître bizarres, Alfredo et le Duc de Mantoue étant destinés à un ténor à l’émission naturellement plus haute. Le comédien a beau déployer des trésors d’intuition dramatique, on reste un peu sur sa faim et on regrette de vilains effets de détimbrage à la fin de «Parmi veder le lagrime». Péché véniel, heureusement, car le reste, magnifiquement accompagné par Marco Armiliato, est exceptionnel un Air de la fleur superbement conduit, sans aucun effet facile, phrasé dans un français d’un naturel parfait; un «Ach!so fromm» de Martha d’une poésie (dans la partie lente) et d’une urgence (dans la section finale) irrésistibles; un Air du concours des Meistersinger d’une beauté et d’une ardeur rayonnantes; une fascinante Invocation à la nature de La Damnation de Faust, interprétée, comme le lied d’Ossian de Werther avec Fidelio et Lohengrin pour clés de lecture...

Jonas Kaufmann possède un talent unique et précieux. Ce premier récital lui rend amplement justice. On attend maintenant avec impatience de le revoir à la scène, de préférence dans un opéra allemand ou français plutôt que dans La traviata...
 
 
 
 






 
 
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