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qobuz.com/Classica, 30 octobre 2008 |
Jérémie Rousseau |
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Un ténor qui ne connaît pas la crise
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CD
DU MOIS |
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Avec
un récital au disque et un DVD d’opéra paraissant presque simultanément, le
tableau est complet, et le critique ne sait qu’applaudir chez Kaufmann, tant
le chanteur et l’acteur sont à l’évidence parfaitement complémentaires.
Jonas Kaufmann nous livre tout d’abord un récital d’opéra exceptionnel. Sans
doute même le plus remarquable paru ces dernières années. Comme si, un peu à
la manière de Bryn Terfel chez les barytons-basses, Jonas Kaufmann
concourrait dans la catégorie de ceux qui chantent tout, et tout bien.
Difficile en effet de trouver dans le paysage lyrique récent un ténor
s’aventurant avec autant d’évidence et de brio dans Puccini, Wagner, Mozart,
Massenet, Verdi, Schubert... Plácido Domingo le Latin, avec des moyens
différents et un chant perpétuellement fiévreux, s’y est risqué avec
bonheur, mais aussi beaucoup d’exotisme. Rien de cela ici. Outre qu’on
succombe immédiatement à la beauté de la voix de Jonas Kaufmann — longue,
moirée, caressante — c’est la rigueur du musicien qui saute d’abord aux
oreilles. Non seulement la diction est impeccable dans les trois langues,
italienne, française et allemande, avec des clairs-obscurs qui laissent
deviner une vraie maturation des textes (ce français châtié de l’« Air de la
fleur »), mais la profondeur, la sobriété (laquelle n’exclut pas le panache
: écoutez la cabalette d’Alfredo !) et la hauteur de vue de son chant lui
permettent de camper tout au long des treize plages, treize personnages
incarnés et fouillés jusqu’à la mœlle. Sa justesse, sa palette de couleurs
et son art de ciseler avec des moyens phénoménaux trahissent aussi
l’interprète de lied racé : depuis quand n’a-t-on pas entendu des stances de
Walther von Stolzing aussi variées ? Écoutez la ferveur du « rosigen scheim
», la nuit sur « Abendlich dämmernd », avec cet abandon irrésistible.
Meistersinger ou Dichterliebe? Quant aux airs si rebattus d’Alfredo ou Don
Carlos, ils sont des modèles de style, de pureté, et de vérité théâtrale qui
disent aussi quelle imagination musicale est la sienne — cf. les récitatifs
habités du duc de Mantoue avant « Parmi veder », les premiers mots d’un
Werther goethéen dans l’âme, les déchirures palpables de l’Infant. Le tout
vivifié par un art du souffle et des dynamiques inépuisables, des aigus
solaires, qu’ils passent en forte ou en fausset (la cavatine de Faust).
Enfin, lorsque Kaufmann s’attaque au vérisme, il nous donne à entendre un
Lamento de Cavaradossi de rêve, le moins ostentatoire et le plus déchirant
qui soit ; à peine relèvera-t-on ici ou là quelques coups de glotte et
resserrements du vibrato.
Enfin, il est louable que Decca ait offert à son poulain les timbres
parfumés et authentiques du Philharmonique de Prague (le violon solo de la
cavatine de Faust), et la main sûre de Marco Armiliato. Avec un physique de
latin lover que les scènes d’opéra n’avaient sûrement plus vu depuis Franco
Corelli, Jonas Kaufmann marche sur les pas de Wunderlich et de Gedda :
musicien éclectique, ténor « qui établit ses propres règles » selon Roger
Piñes dans la pochette du disque, il se définit lui-même comme un artiste
curieux de tout. Grand bien lui a pris d’attendre, de se cultiver et
d’aiguiser patiemment ses armes pour dès son premier récital, accomplir
l’accompli. |
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