Le Temps, 10.11.2012
Pierre Michot
 
Le «Ring» du Met: gadget ou dramaturgie ?
Pour ces quatre soirées de «L’Anneau du Nibelung», la scène new-yorkaise n’avait jamais eu à affronter tant de problèmes techniques. Wagner en sort-il gagnant?
Les adeptes des retransmissions du Metropolitan Opera de New York l’ont déjà vécu en direct dans les salles de cinéma. Ils pourront d’ores et déjà – avec ceux qui voudront le découvrir – revoir les quatre soirées de ce Ring , tel que le metteur en scène Robert Lepage l’a présenté d’octobre 2010 à février 2012.

Wagner’s Dream, le making of qui accompagne ces DVD, évoque le défi technique du dispositif proposé par l’équipe canadienne Ex Machina et ne cache rien des difficultés rencontrées pour sa réalisation. Jusqu’à montrer quand ça n’a pas marché: à la première de Rheingold, la montée des dieux au ­Walhalla est ratée et, dans l’épisode suivant, Deborah Voigt glisse sur son rocher de Walkyrie, tombe… et attaque malgré tout avec vaillance son «Hotojohoh»!

La belle idée, c’est un seul décor pour l’ensemble. Constamment transformé, à l’instar des leitmotive que Wagner fait sans cesse évoluer au cours de ces quinze heures de musique. Une machine constituée de 24 éléments mobiles ondule ou se retourne, se disloque ou se reforme, pour devenir tour à tour lit de fleuve ou dragon, montagne ou forêt, grotte ou palais. D’habiles projections corrigent la dureté du support et ajoutent poésie et onirisme. Ainsi, la forêt de Siegfried fourmille de mille présences, pas une étincelle de manque à la forge de Mime, Siegfried voyage sur le Rhin avec son cheval sur un «vrai» bateau. Bref, on reste impressionné par une scénographie qui s’est voulue fidèle aux indications du livret.

L’ennui, c’est que la mise en scène en reste à l’imagerie, que la contrainte des praticables entrave la direction d’acteurs (un personnage aussi mobile que Loge est retenu par un câble…) et que l’originalité d’un propos dramaturgique affirmé se noie dans le règne du gadget. Quant aux costumes, ils marquent un retour triomphant à ce que Debussy appelait la ferblanterie tétralogique. Il y a pourtant quelques visages beaux à regarder, que les gros plans mettent en valeur: les yeux bleus de Brünnhilde se marient à ceux de Siegfried, dont la blondeur athlétique contraste fort avec la virilité brune de son père Siegmund.

Ceux qu’ont fatigués les aventures récentes du Regietheater auront certainement plaisir à retrouver leur Ring raconté sans ambages. Mais qui voudra un théâtre moins figé, des individualités creusées, un point de vue nouveau cultivera la nostalgie des Chéreau et autres ­Kupfer…

Question chant, le plaisir est moyen. Jonas Kaufmann triomphe en Siegmund, Hans-Peter König a la noirceur qu’il faut pour Fafner, Hunding et Hagen, Stephanie ­Blythe projette en Fricka un mezzo aussi opulent que sa personne. Mais pour presque tous les autres, qui n’aime pas le vibrato s’abstenir! Bryn Terfel, qui déclame son triple Wotan avec autorité, n’a pas tout à fait l’ampleur divine, et le timbre se nasalise. Comme Deborah Voigt, qui a de la présence, mais dont la dureté du timbre lasse vite dans le triple rôle de la Walkyrie. Il y a longtemps qu’on n’avait pas vu un Siegfried au physique aussi convaincant, mais la voix de Jay Hunter Morris est rêche et serrée. Bref, quand on parle de crise du chant wagnérien…

A mi-course, le passage de James Levine à Fabio Luisi se fait sans mal, le second allégeant les textures d’un orchestre que Wagner a voulu de plus en plus riche et parfois touffu. Le son d’ensemble est d’un brillant parfois clinquant, mais le tapis symphonique ne manque pas de couleurs.






 
 
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