Le Figaro, 10 Septembre 2015
THIERRY HILLÉRITEAU
 
Jonas Kaufmann, héraut puccinien
Avec son nouvel album, « Nessun dorma », le ténorissime explore tout le génie du compositeur italien.
 
Tout nouvel album de Jonas Kaufmann est un événement en soi. La star munichoise, dont chaque apparition sur scène fait courir les lyricophiles de la planète, le sait bien. Pour autant, il n'est pas prêt à se laisser dicter sa conduite par les maisons de disques. Aussi, lorsque son ancien label Decca a dégainé, mi-août et sans l'avoir consulté, une compilation d'airs pucciniens qu'il avait enregistrés chez Decca par le passé, il n'a pas hésité à faire part de son mécontentement sur les réseaux sociaux.

Car le véritable album Puccini de cette rentrée, c'est chez Sony Classical qu'il le publie, dès ce vendredi 11 septembre. Et le chanteur peut bien être parmi les plus occupés de la planète, il a pris un soin tout particulier à l'élaborer. La variété des airs présentés - pas un seul opéra de Puccini ne manque à l'appel, à l'exception bien sûr de l'ouvrage pour voix de femmes Suor Angelica - en est la preuve. Si le tube « Nessun dorma », extrait de Turandot, donne son titre à tout l'album, celui-ci est avant tout une remarquable exploration du style puccinien, plus qu'une simple vitrine (comme cela est si souvent le cas) des prises de rôlé passées ou futures du ténor. À côté des standards que sont « Recondita armonia » (Tosca), « Ah Manon, mi tradisce » (Manon) ou encore le duo « Soave Fanciulla » (La Bohème) figurent ainsi de nombreux airs moins célèbres, tirés de La Fanciulla del West, du Viii ou encore du Trittico. Autant de titres que Kaufmann défend avec une fascinante intensité théâtrale, comme s'il était habité par chacun de ces rôles en studio autant que s'il les incarnait sur scène.

Lâcher prise
La décision de présenter tous ces airs de façon quasi chronologique peut surprendre. Les maisons de disques, a fortiori les majors, nous ont habitués à ouvrir leurs récitals discographiques avec les tubes les plus emblématiques de l'album. Mais Kaufmann a insisté pour que la progression stylistique soit respectée (seule concession: les opéras de jeunesse arrivent en deuxième position après Manon Lescaut). Il ménage ainsi une subtile montée dramatique jusqu'au fameux « Nessun dorma », véritable explosion vocale, où le chanteur, aidé par un complice de longue date, Antonio Pappano, et son orchestre de l'Académie Sainte-Cécile de Rome, ouvre en grand les vannes de l'émotion.

Car c'est bien là la force de ce disque. Celui qui nous confiait en juin dernier, après le concert de lancement à la Scala de Milan, se surprendre parfois encore à pleurer sur scène, a su trouver l'équilibre parfait entre maîtrise vocale et lâcher prise. Plus que le timbre (toujours aussi riche), la diction (impériale) ou le fascinant spectre de nuances dont il fait preuve, c'est cette leçon d'humanité que l'on retiendra de l'album. Un album décidément
singulier, comme peuvent l'être tous les disques estampillés Kaufmann. Reste une question: après s'être risqué chez Schubert, avoir revisité l'opérette allemande des années 19201930 et livré sa propre biographie en airs de Puccini, quelle nouvelle surprise nous réserve le chanteur? Entre sa Carmen événement à Orange, en juillet dernier, et sa participation attendue à la nouvelle Damnation de Faust de l'Opéra de Paris en décembre, le temps pour un album de musique française est peut-être venu... Affaire à suivre.

 
 






 
 
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