|
|
|
|
|
Opéra, Septembre 2015
|
RICHARD MARTET |
|
Jonas Kaufmann - Nessun dorma : The Puccini Album
|
Manon
Lescaut, Le villi, Edgar, La Bohème, Tosca, Madama Butterfly, La fanciulla
del West, La rondine, Il tabarro, Gianni Schicchi, Turandot Kristine Opolais
(soprano). Massimo Simeoli (baryton). Antonio Pirozzi (basse). Orchestra e
Coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, dir. Antonio Pappano 1 CD
Sony Classical 88875092492
Après Verdi, Schubert et l’opérette
viennoise, Jonas Kaufmann se consacre à Puccini chez Sony Classical, avec ce
récital de studio, gravé à Rome, en septembre 2014. C’est le premier que le
ténor allemand dédie entièrement à ce compositeur auquel il est profondément
attaché et, dès le «Donna non vidi mai» de Manon Lescaut qui ouvre le
programme, on succombe.
Depuis les grandes années de Placido Domingo,
nous n’avions plus entendu un Des Grieux aussi fiévreux dans l’expression de
sa passion aveugle, aussi violent dans ses accès de jalousie (le duo de
l’acte II avec Manon), aussi désespéré dans sa manière d’implorer le
capitaine du navire de le laisser monter à son bord (fin du III).
Le
bonheur se prolonge avec le «Torna ai felici di» de Roberto dans Le villi et
l’air d’Edgar («Orgia, chimera dall’occhio vitreo»). Deux pages que Jonas
Kaufmann plonge tout naturellement, avec son timbre sombre et ses accents
angoissés, dans le climat de tragédie qui leur convient.
Le duo de la
fin de l’acte I de La Bohème et le «Recondita -armonia» de Tosca apportent
un répit bienvenu, même si le ténor ne peut s’empêcher de charger le second
d’une inquiétude superfétatoire. Comme si Cavaradossi anticipait sa fin
tragique dès le début de l’opéra, alors que rien dans le texte, ni dans la
musique, ne l’indique.
Retour au drame avec un «Addio, fiorito asil»
de Madama Butterfly d’une intensité bouleversante, suivi de deux extraits de
La -fanciulla del West («Or son sei mesi» et «Ch’ella mi creda») absolument
exceptionnels. Là encore, c’est le souvenir du meilleur Domingo qui vient à
l’esprit, pour l’épaisseur du médium et du grave, la projection irrésistible
de l’aigu et la capacité à nous faire partager toute la détresse du bandit
au grand cœur.
Ruggero de La rondine («Parigi ! È la città dei
desideri»), quoique très bien chanté, est plus anecdotique, surtout comparé
au bref arioso de Luigi dans Il tabarro («Hai ben ragione»), d’une violence
quasi expressionniste, là encore parfaitement en situation.
Les deux
airs de Turandot, enfin, sont impeccablement différenciés : la tendresse de
«Non -piangere, Liù», d’un côté, avec son jeu savant de demi-teintes ;
l’ardeur sensuelle de «Nessun dorma», de l’autre, phrasé sans alanguissement
superflu, mais chargé d’un désir charnel à peine tenu sous contrôle – ce que
traduit un si aigu final d’une puissance d’évocation sidérante. Aucun ténor,
jusqu’ici, ne nous avait fait mesurer à quel point Calaf brûlait de prendre
dans ses bras et d’éveiller à l’amour la «princesse de glace» !
Deux
bémols à notre enthousiasme, néanmoins. L’air de Rinuccio dans Gianni
Schicchi, d’abord, est un mauvais choix, Jonas Kaufmann n’ayant rien à
partager avec cette tessiture de lirico leggero trop haute pour lui, ni avec
ce personnage solaire et joyeux. Même si le ténor l’avait déjà enregistré
dans son premier récital chez Decca (Romantic Arias), «E lucevan le stelle»
aurait bien mieux convenu.
Ensuite, pourquoi a-t-on fait appel à
Kristine Opolais pour lui donner la réplique ? La soprano lettone est certes
l’une de ses partenaires attitrées à la scène, en particulier dans Manon
Lescaut. Mais ce que l’on entend ici est médiocre : timbre dépourvu de
séduction et de jeunesse (on dirait la grand-mère de Mimi dans «O soave
fanciulla» !), aigu perçant, diction mollassonne.
Par chance, Antonio
Pappano est dans une forme éblouissante, à la tête d’un orchestre aux
sonorités enivrantes. Tellement éblouissante qu’il devient le vrai
partenaire de Jonas Kaufmann dans les duos, rejetant à l’arrière-plan une
soprano qu’à la troisième écoute, on ne remarque même plus.
Un disque
irrésistible, donc, par-delà les réserves mentionnées plus haut.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|