Diapason, mai 2014
Emmanuel Dupuy
 
Jonaaaaaas !!!
Diapason d'or
Mais où s'arrêtera-t-il ? Dans le Faust de Gounod ou lors d'un concert Wagner, Jonas Kaufmann apporte une fois encore la preuve de son génie vocal. Et au Met, serti par un spectacle visuellement parfait, il impose un des plus grands Parsifal... de tous les temps.

Il arrive qu'un spectacle soit transcendé par l'interprétation musicale. C'est le cas de ce Parsifal que nous avions vu à Lyon avec une autre distribution, un autre chef et un autre orchestre, et dont la logique avant tout illustrative nous avait semblé quelque peu réductrice, après la lecture si stimulante d'un Romeo Castellucci (Monnaie de Bruxelles, DVD BelAir, cf n° 619).

Oui, mais voilà : pour la reprise new-yorkaise, on a réuni un cast inespéré, et soudain, le beau livre d'images ouvert par François Girard prend tout son sens — d'autant qu'il se révèle des plus télégéniques, Girard n'étant pas pour rien cinéaste. Superbe décor volcanique (signé Michael Levine), au milieu duquel coule une source bienfaitrice à l'acte I, puis une rivière de sang au II, ciels alla Véronèse, paysages cosmiques au III, gestique millimétrée : tout concourt à la réalisation d'un projet visuel parfaitement léché, qui rend au propos une lisibilité sans ombre (ce n'est pas si fréquent), tout en laissant la primauté au chant.

Et quel chant ! Le Parsifal de Kaufmann s'inscrit d'ores et déjà dans l'Histoire (la majuscule n'est pas de trop), incarnation idéale, tant physique que musicale, soleil noir resplendissant d'une infinie variété d'accents, de nuances et de phrasés à se damner. On a beau remonter très loin dans la discographie, on n'a pas souvenir d'avoir entendu un « Amfortas die Wunde » chanté et vécu avec une telle plénitude. Rien que pour ces quelques minutes d'extase : à genoux !

A genoux aussi devant l'Amfortas de Mattei, lové dans le velours de son baryton glorieux, identifié corps, voix et âme au personnage, faisant vibrer, au tréfonds de lui-même, les mille cordes sensibles d'une plainte à fendre le coeur. Là encore, c'est historique. Et Pape n'est pas en reste, car s'il ne possède pas vraiment le grave abyssal des plus grands Gurnemanz, il en a l'endurance, la vaillance encore jeune, l'extrême précision des mots et cet art inné des caresses compassionnelles. Nikitin crache le poison de Klingsor avec toute la santé de son insolent baryton. Et Dalayman, bien qu'elle ne distille pas les séductions venimeuses qui font les plus inoubliables Kundry, met beaucoup d'ardeur à expier ses fautes, soprano à la fois athlétique et blessé, comme vaincue d'avance par les puissances mystiques qu'elle affronte.

La direction de Gatti est un peu à l'image du spectacle : bien rodée, sans baisse de tension, claire. Ne cherchons pas dans les lenteurs du I (et ses quelques approximations) les abîmes métaphysiques qu'y ouvrait un Knappertsbusch. Le II file avec davantage de prestance, plutôt dans la lignée d'un Boulez — mais sans ses fulgurances, certes. C'est au III que cette lecture atteint sa pleine mesure, souple, spontanée, passant en un seul geste des atmosphères désolées à la plus vive lumière rédemptrice. Et chaque pupitre du Met se couvre de gloire, offrant tout un arc-en-ciel de grâces instrumentales tapies dans la masse d'une matière somptueuse.

Ce n'est peut-être pas, en DVD, le Parsifal qui vous fera le plus réfléchir (pour cela recherchez sur le Net le film étrange de Syberberg, ou tentez l'expérience Castellucci). Mais c'est sans conteste le plus hédoniste, celui qui possède la plus haute somme de qualités, apothéose du chant, de la musique, de l'image. Vous avez dit art total ?








 
 






 
 
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