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france info TV, 12 octobre 2020 |
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Cd: Jonas Kaufmann, douloureux Otello de Verdi face à l'émouvante Desdémonde de Federica Lombardi
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On
vous en avait parlé, il est dans les bacs depuis l'été: l' "Otello" de
Jonas Kaufmann, enfin de Verdi mais qui a un nouveau visage, celui du
plus grand ténor actuel. Et avec en bonus (très remarquable, le bonus!)
mademoiselle Federica Lombardi, absente de la conférence de presse de
juin- il n'y avait que ces messieurs. Bref, un "Otello" parfaitement
recommandable.
Otello, un Himalaya pour tous les ténors...
On peut évidemment faire confiance -c'est son tempérament- à
Kaufmann pour nous présenter un Otello fragile, qui ne renie rien de sa
jalousie et de sa puissance d'homme de guerre, mais qui n'hésite pas à
montrer ses fêlures. Le rôle d'Otello, il l'a dit, est un Himalaya que
tous les ténors n'osent pas affronter, et d'abord par sa complexité
psychologique - d'habitude, selon le mot de George Bernard Shaw, le
ténor se fait tuer par la basse qui lui reproche d'avoir couché avec la
soprano, ce qui est conforme à sa nature de bon vivant séducteur. On est
évidemment ici dans autre chose; et d'ailleurs si l'on se réfère
simplement à sa transposition cinématographique (celle, légendaire,
d'Orson Welles), Othello, celui de Shakespeare, a une configuration
musicale, par sa violence, sa stature brûlante de héros militaire, de
baryton ou de basse, comme Simon Boccanegra, comme le Posa de Don Carlos
(pour en rester à Verdi)
La dimension psychanalytique du Maure
Un Verdi qui, d'ailleurs, ne ménage pas les éclats de son héros,
impérieux et mâle dans la scène d'amour avec Desdémone (Gia nella notte
densa, fin de l'acte 1), coléreux puis intensément abattu face à Iago
puis face à lui-même (Dio! Mi potevi scagliar), concentrant aussi sa
fureur dans le crime mais surtout dans son expiation (Oh! Gloria! Otello
fu) A l'interprète, au lieu d'en faire uniformément une force qui va et
qui, brutalement, s'effondre, de construire un personnage où les ombres
gagnent peu à peu, et qui prend en charge, comme le signifiaient
Kaufmann et Pappano dans leur conférence de presse de lancement, la
dimension "psychanalytique" d'Otello, homme étranger, étranger de
couleur, étranger à une société (vénitienne) et qui n'y est accepté que
comme vainqueur militaire et/ou comme époux d'une fille noble de la
ville.
Toutes les nuances de la palette vocale
C'est
d'ailleurs une des qualités de Kaufmann de malmener toujours ses héros
de secrètes douleurs, qui transparaissent plus ou moins dans les
personnages en fonction des compositeurs, mais qu'il aime accentuer,
voire révéler. Quand il s'agit d'un autre héros verdien comme Don
Carlos, qu'il chanta à l'Opéra-Bastille il y a trois ans, c'est du
nanan. Otello, le mâle guerrier est d'un calibre différent, et c'est à
ce moment-là aux brisures de la voix, à ce chant sur le souffle où il
excelle, que l'on ressent le doute s'installer, les angoisses naître. Le
plus bel exemple: l'air Dio! Mi potevi scagliar quasi murmuré dans sa
première partie (le volere del ciel est une merveille), et qu'en
personnage à double face, Kaufmann transforme de caractère incertain en
colère violente dans la seconde partie (le Ah! Dannazione!)
Kaufmann en Grand Inquisiteur
On attend évidemment avec
impatience la scène du meurtre. Elle est un bijou verdien -expédiée en
trois minutes, sans fioritures, comme un coup de hache. Kaufmann la
chante de manière assez égale, non comme un mari bafoué et furieux mais
comme une sorte de Grand Inquisiteur, représentant d'une morale
implacable qui condamne à la mort la femme adultère au nom des principes
divins. C'est assez réussi, inattendu, peut-être aussi ce que souhaitait
Verdi. On note d'ailleurs que, sur tout l'album, la voix du ténor peine
parfois sur certains aigus ou certains forte -quelques "pailles", à
peine, alors que les graves sont de plus en plus aisés. Indice que
Kaufmann, qui chante tout, va connaître une évolution à la Placido
Domingo et finir baryton?
La découverte Lombardi
La
découverte sera Federica Lombardi. La voix est souple, belle dans tout
le registre, aisée, lumineuse, mais capable de mouvements de révolte,
non dans l'incandescence d'une confrontation avec un époux injuste,
plutôt dans l'affolement d'accusations qu'elle repousse, horrifiée. Les
deux morceaux de bravoure de Desdémone (avant sa mort), l'air du Saule
et l'Ave Maria, sont très émouvants dans leur simplicité, leur absence
d'effets -une Desdémone qui s'est presque résignée au martyre chrétien.
Certes Lombardi ne compose pas un personnage -il demeure sage, presque
sans relief, ne tenant que par la beauté de la voix- comme elle le
ferait sans doute en scène (où elle ne l'a jamais chanté) Mais
justement: au disque on est sensible à cette simple lumière, comme dans
les grands tableaux baroques où un rayon christique vient frapper la
sainte qui va succomber.
On est plus réservé sur Carlos Alvarez,
Iago brillant, mais d'un peu trop d'éclat et manquant de noirceur,
c'est-à-dire d'ambiguïté. Alvarez se comporte comme un capitaine en
second, non comme un traitre. Bons comparses, la voix jeune et sonore du
Cassio de Liparit Avetisyan, l'engagement de la fidèle Emilia, Virginie
Verrez.
Différents climats sonores distillés par Pappano
Antonio Pappano n'essaie pas d'édifier l'arc d'une grande tragédie. Il
s'attache à magnifier cet orchestre qui, plus qu'ailleurs, distille les
climats, est une sorte de décor sonore génial -là où, avec un génie
différent, Puccini ou Bellini font de l'orchestre un prolongement ou un
portique des caractères. Otello pousse loin ce principe verdien par la
richesse de bien des introductions orchestrales -comme de petites
"ouvertures" qui parsèment l'opéra, installant une ambiance; d'ailleurs
Otello n'a pas d'ouverture classique puisque la première scène voit le
choeur intervenir au bout de quelques secondes ...
A ce point
Pappano réussit en maître à galvaniser son orchestre de l'Académie
Sainte-Cécile de Rome et chaque entrée, d'acte en particulier, est un
bonheur, de l'introduction cinglante de l'opéra à la terrible douceur du
3e acte, mené par les cordes renforcées ensuite par les bois, qui sera
celui où Iago prend Otello aux filets de la jalousie. Choeurs très
vaillants, parfois un peu en difficulté chez les dames.
Au total,
pour un Kaufmann toujours magistral, la révélation de mademoiselle
Lombardi et les délices de coloriste que nous font goûter Antonio
Pappano et ses musiciens italiens, un enregistrement hautement
recommandable même si, aujourd'hui, il n'est plus possible, pour la
majorité des oeuvres, de dire "c'est celui-ci et pas un autre", tant la
concurrence est rude...
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