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Forum Opéra |
Yonel BULDRINI |
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Weber: Oberon
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Carl
Maria von Weber était conscient du caractère particulier d'Oberon, ouvrage
conçu pour le public britannique et comportant de nombreux dialogues ; le
compositeur eut du reste le mérite d'apprendre exprès l'anglais. Selon lui,
l'irruption du parlé et l'absence de musique dans les moments cruciaux
éloignaient l'oeuvre du genre opéra alors en vogue dans toute l'Europe,
empêchant ainsi une "circulation" de l'ouvrage. Weber n'eut pas le temps d'y
remédier car il disparut quelques mois après la création. Il nous faut donc
nous contenter de la version originale, en sachant que de nombreux
arrangements tentèrent de tirer l'oeuvre vers l'opéra, rejetant les
dialogues au profit de récitatifs ou de "mélodrames" (moments parlés mais
durant lesquels l'orchestre joue une mélodie). Au passage, les personnages
se trouvèrent chanter en allemand, italien ou encore français, selon la
langue choisie !
L'essentiel est ailleurs, à jamais sculpté dans l'Art : la réussite géniale
et parfaite avec laquelle Weber ressentit le sujet et conçut sa musique. Son
traitement des voix et de l'orchestre évoque de manière saisissante cette
atmosphère fantastique impalpable et pourtant proche de la nature, toujours
un peu mystérieuse. Ainsi, ces sonorités étranges des flûtes durant le n°1
semblent si "modernes", qu'on les dirait sorties de la main d'un compositeur
du XXe siècle. André Coeuroy dit avec raison : "Ce fantastique n'est plus
menaçant comme dans le Freischütz, ni fantômatique comme dans Euryanthe. Il
est à la fois comique et délicat, subtil et poétique. Dans le choeur des
elfes il se combine, de délicieuse façon, avec le bruissement incertain de
la nature.(1)" .
La sensibilité de Weber au sujet d'Oberon était si vive qu'il semblait y
penser avant même d'en recevoir la proposition. En effet, de retour à Dresde
après avoir passé le mois de juillet 1824 en cure à Marienbad, il trouve une
première lettre du directeur du Théâtre de Covent Garden, l'invitant à
composer un opéra. Après l'acceptation de Weber, le directeur lui propose le
15 septembre les sujets de Faust et d'Oberon... Or il existe un témoignage
saisissant et pratiquement antérieur, puisqu'il concerne un épisode survenu
durant "l'été" de cette même année 1824, et donc probablement avant la
réception de la lettre du 15 septembre. "Le chanteur Roth, nous rapporte A.
Coeuroy (2), a décrit une promenade qu'il fit pendant l'été de 1824 avec
Weber dans la campagne de Dresde : la lumière était éblouissante et l'on
n'entendait pas un son, sinon un très léger et lointain bourdonnement
d'insectes. Weber s'arrêta, mit un doigt sur sa bouche et murmura : Oberon."
Le nouvel enregistrement intégral dont il est question ici a choisi la
version originale anglaise, remplaçant les dialogues par les courtes
interventions d'un récitant (une douzaine de minutes au total), intercalées
où il était nécessaire.
Hillevi Martinpelto est une Reiza à la voix lumineuse, fruitée et "pleine",
caressant de sa souplesse les délicates mélodies que Weber écrivit pour ce
rôle. Comme ce "n°18 Cavatina", dont le recueillement et la phrase initiale
même, évoquent la sublime prière de Pamira dans L'Assedio di Corinto
rossinien. Un abandon et une légèreté admirables caractérisent cette
mélancolique complainte sans éclat, sans montée de passion et pourtant
intense, que le soprano nous offre d'un timbre égal, d'une voie unie, d'un
souffle interminable ! On est d'autant plus surpris d'entendre sa maîtrise
du dramatique monologue (n°13), "Ocean ! thou mighty monster" (plus connu
sous les paroles allemandes de "Ozean ! Du Ungeheuer !"), dont la musique
change au gré des sentiments, occasionnant des écarts redoutables et se
terminant par la reprise du si wébérien thème presto con fuoco terminant
l'ouverture.
Sa servante Fatima est le mezzo-soprano Marina Comparato dont le timbre
semble le décalque du sien ! La souplesse de son chant et sa capacité à
vocaliser jouent d'autant plus en faveur de l'harmonie de leurs voix dans le
charmant duo "Ah ! happy maid !", contenu dans le Finale Primo (n°6).
Pour compléter ce tableau très homogène de voix féminines, ajoutons l'elfe
Puck, interprété en travesti par le contralto Frances Bourne et dont il sera
question plus loin. Il faut également nommer les deux sirènes pour leur fort
belle scène au début du Finale II (n°14). Katharine Fuge et Charlotte Mobbs
rivalisent en effet de légèreté, alors que J. E. Gardiner obtient un
orchestre en état de grâce, correspondant à merveille au chant diaphane,
impalpable des sirènes... plus rêveuses et moins inquiétantes que leurs
cousines vues par Alfredo Catalani dans Loreley, mais peut-être d'autant
plus perfides !
Le ténor Steve Davislim est le roi des elfes Oberon et son timbre un peu
blanc convient à cet être irréel. En revanche, c'est un messire Huon de
Bordeaux bien vivant que campe le ténor Jonas Kaufmann, au timbre clair,
puissant et assumant les vocalises avec une belle vaillance. Il sait
également alléger son émission pour susurrer la partie centrale de son Aria
(n°3), reprenant un beau thème de l'ouverture, ou la Prière de l'acte II
(n°12).
Dans le rôle épisodique de Sherasmin, écuyer de Huon, le baryton William
Dazeley se montre efficace et d'une belle présence. De même, le contralto
Frances Bourne donne un beau relief à l'elfe Puck, fidèle serviteur
d'Oberon.
Dès la célèbre et belle ouverture, John Eliot Gardiner insuffle à
l'orchestre "Révolutionnaire et Romantique" une juste mesure entre les élans
passionnés, voire menaçants et les délicates touches évoquant les mystères
de l'atmosphère fantastique baignant toute l'oeuvre. On passe ainsi avec un
plaisir évident des sonneries les plus éclatantes aux sonorités les plus
impalpables, comme ces traits de flûtes curieusement très modernes pour
l'évocation de l'atmosphère fantastique (n°1).
Un art des nuances que l'on retrouve avec bonheur dans la prestation du
"Monteverdi Choir", donnant vie, si l'on peut dire, à ces êtres évanescents
comme leur chant, ou épousant la fureur menaçante des esprits de l'air,
comme la joie rutilante et incisive des bruyants chevaliers.
L'accord avec l'orchestre est complet, résultant certainement du fait que J.
E. Gardiner dirige aussi ce Choeur Monteverdi qu'il a du reste fondé. Son
travail remarquable aboutit à donner l'impression que Choeurs et Orchestre
sont tellement habités par l'oeuvre, qu'ils en deviennent comme deux
personnages supplémentaires !
Est-il besoin, dans ce cas, de préciser également la parfaite harmonie des
passages d'ensemble, où l'orchestration de Weber laisse les voix solistes
pratiquement livrées à elles-mêmes ?
Un peu en marge de la musique, le récitant Roger Allam équilibre avec
simplicité ses interventions entre un ton intrigué, convaincu ou évocateur.
Cette qualité appréciable et la brièveté de ses interventions (remplaçant
les nombreux dialogues originaux et destinées à donner un minimum
d'explications) font s'intégrer son rôle à cette fable, vécue, précisément,
comme un récit fantastique... ce qu'elle est, pleinement !
C'est aussi ce que cette nouvelle superbe intégrale souligne. |
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