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Olyrix, Le 21/09/2017 |
Par Charles Arden |
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Jonas Kaufmann - L'Opéra : premier disque français
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Le
plus grand ténor de sa génération, vedette mondiale, dédie un album entier
au répertoire lyrique français. L'occasion de déployer la riche et
grandissante palette de ses moyens vocaux exceptionnels dans les grands airs
du répertoire, mais également de défendre des pièces moins connues.
Comme pour entrer dans le noble répertoire de l'opéra français, le disque
s'ouvre tout en douceur en nappes vaporeuses de croches et de noires souples
et déliées. Tel un locuteur natif, Jonas Kaufmann parle un français aussi
intelligible que reconnaissable à ses nasales et voyelles postérieures
ouvertes.
L'amour est bien évidemment le premier mot prononcé par le
ténor. La voix est intense dès la première phrase, l'aisance du récit
soutenu par la qualité du chant mène en crescendo vers l'aigu d'une obscure
clarté "Ah ! Lève-toi, soleil !" (Roméo et Juliette de Gounod). Quelques
coquetteries referment les phrases (portés de voix, savants retards et
empressements, voix mixte soulevée).
Les airs se mêlent avec des
extraits des récitatifs qui les précèdent et les suivent, mais les
différents opéras s'enchaînent sans transition (sans les quelques secondes
de silence souvent placées entre les pistes). Ces enchaînements
désarçonneront le mélomane (mais n'est-ce pas inévitable avec une
compilations d'airs ?), mais ce qu'il perdra en cohérence, il le regagnera
en immersion.
Kaufmann a laissé une version inoubliable des
souffrance du jeune Werther en janvier 2010 à Bastille ainsi que des
malheurs de Don José face à Carmen à La Scala un mois plus tôt. L'écoute
comparée de ces premières versions avec leur nouvelle interprétation sur cet
album est un merveilleux exercice permettant d'apprécier le mûrissement
d'une bonne bouteille. La candeur laisse la place à l'expérience, la
fraîcheur à l'ancrage, la résonance à l'amplitude, mais toujours l'émotion à
l'émotion. L'album est dédié à l'Opéra français, mais il est clairement une
étape vers les immensités des rôles wagnériens (Tristan, qu'il prépare).
Sur le grand duo des Pêcheurs de perles, "Au fond du temple saint" et
comme si souvent durant sa carrière, le ténor à l'ancrage très grave trouve
mille ressorts pour atteindre des aigus qui semblent hors de portée, mais
qu'il allège dans un velours. Le grand baryton français Ludovic Tézier est
audiblement enthousiasmé par un duo avec le grand Kaufmann.
Véritable
défense et illustration du répertoire français, Kaufmann en propose
également des pépites à (re)découvrir, avec sa patte. "Je vais hélas !
mourir" du Roi d'Ys d'Édouard Lalo rappelle le mezza-voce de son Chevalier
au cygne. Il prête également sa voix au Cid (Massenet), à L'Africaine
(Meyerbeer) et à La Juive (Halévy).
Dans les élans du Contes
d'Hoffmann, sur l'air "Ô Dieu, de quelle ivresse", la voix est hélas
exagérément tubée et assourdie, mais comme elle sait maîtriser ses
déchirures ! La promesse d'une longue prolongation de carrière. D'autant
qu'il enchaîne sur le délicat pincement du "Paradis", du "ciel si bleu, ciel
si pur" de L'Africaine. La voix se fait même éthérée, très ouverte et
retenue d'intensité pour narrer son "rêve insensé écrit sur le sable" à
Manon (Massenet). Multipliant les portamenti sur un sommet hollywoodien de
l'Orchestre d'État de Bavière dirigé par Bertrand de Billy, Kaufmann déploie
un aigu charnel unique, ébouriffant, puis un autre. L'immense souffle
instrumental est parfois trop marqué de timbales et de cuivres (martiaux
pour ce répertoire), mais mention particulière doit être faite de la harpe
qui campe l'univers d'un balayement. Invitée de luxe pour ce duo, Manon est
l'une des très rares à pouvoir donner la réplique à Jonas Kaufmann. La
soprano bulgare Sonya Yoncheva conserve le drame vocal jusqu'à ses aigus
étincelants, longuement filés. Dans son air soliste "N'est-ce plus ma main",
elle multiplie comme autant de merveilles ses montées aux sommets de
l'ambitus, redescendant en gerbes de couleurs. À la largeur vocale aiguisée
de la soprano répond celle enracinée du ténor. Il s'apaise l'espace de cinq
mots "Ah, tout est bien fini", aux doux accents de l'amour et de la victoire
perdus par Le Cid. La "foi du chrétien" soutenant le "désespoir du soldat"
vers un impressionnant forte final.
La minute trente ouvrant l'air
"Rachel, quand du Seigneur" de La Juive (Halévy) est toujours aussi exquise
et envoûtante avec ses volutes parallèles en duo de cors anglais. Le
puissant ténor ne rend pas l'image des tremblantes mains livrant au bourreau
la fille à laquelle il avait voué sa vie entière. Hélas, le placement vocal
est ici exagérément ouvert. La bouche exhale une chaleur qui estompe les
consonnes, avec en outre des "r" exagérément roulés.
Dédiant son
avant-dernière piste à Berlioz et La Damnation de Faust, Kaufmann aurait pu
choisir l'invocation à la nature mais, nouvelle défense et illustration du
répertoire français, il propose "Merci, doux crépuscule !" abolissant le
souci jusqu'aux portes du silence en voix de tête. Le doux bercement
orchestral mène comme sur une plume tombante vers l'ultime piste, le
cinquième acte des Troyens et la terrible résolution de quitter Carthage. De
quoi rêver de voir Kaufmann sur scène pour ce monstre lyrique.
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