Tutti magazine
Nicolas Mesnier-Nature
Lohengrin DVD, 6/10
Les temps changent, le public évolue avec son temps, les metteurs en scène s'adaptent avec plus ou moins de bonheur aux goûts contemporains, mais la musique demeure heureusement telle qu'elle fut composée. On peut oser une transposition à notre époque de n'importe quelle composition pour la scène pour peu que le spectacle final trouve sa justification. Si le sens échappe ou semble trop obtus, le semi-échec ou le four total se profile et porte un tort énorme à la distribution vocale. Malheureusement, cette production de Lohengrin enregistrée au Nationaltheater de Munich en juin 2009 rentre dans ce cas de figure.

Le metteur en scène Richard Jones propose une relecture de l'opéra romantique wagnérien totalement inepte, sans saveur, sans goût, sans passion. La construction constitue le point de départ de Lohengrin : édification d'un pays – le Brabant – où tout est à remettre en ordre, constitution d'une armée, mise en place de relations humaines intéressées. Pendant le Prélude, Elsa de Brabant dessine le plan de sa future maison. Au fur et à mesure de la progression dramatique, le spectateur assistera à l'édification réelle de cette maison : les fondations, les murs, les fenêtres, le toit, la plate-bande de fleurs, le mobilier intérieur : lit, berceau… Les figurants portent des habits de travail, et tout le monde s'y met : à la truelle, au rabot, à la peinture, au jardinage, à la brouette; on fait semblant de s'affairer et de s'agiter autour de cette maison de poupée un peu ridicule.
Dans la partie supérieure de la scène, une espèce de passerelle en bois accueillera la masse des choristes. Afin de séparer les lieux de l'action, un panneau percé de deux portes et surmonté d'écussons sur lesquels sont dessinés des signes héraldiques étranges nous prive régulièrement des deux tiers de la scène.

Pas plus que les décors, les vêtements n'apporteront de totale satisfaction visuelle.
Elsa arbore une salopette, Lohengrin un T-Shirt bleu. À l'Acte II, elle portera une robe blanche, lui un petit gilet à boutons blancs : ils semblent sortis d'une opérette de Franz Lehar. Les rôles les plus à l'aise, tous en habits évoquant l'entre-deux-guerres, s'incarnent dans le Héraut, le Roi, Telramund et sa femme Ortrud. Evgeny Nikitin a l'allure d'un reporter des années 1930, Christof Fischesser campe un bourgeois autoritaire, Wolfgang Koch un comte vindicatif et violent, Michaela Schuster une épouse revancharde et sournoise fortement "aryanisée".

Si les décors demeurent impersonnels, la direction d'acteurs est pratiquement inexistante. Laissés à eux-mêmes, les déplacements, les gestes, les expressions sont figés et conventionnels, sans vie. Seul Wolfgang Koch sait donner une réelle présence à son personnage de Telramund.

De plus, on cherchera en vain un sens aux deux projections vidéo retransmettant le visage du héraut installé face à un caméscope dans deux cercles situés au-dessus de la scène. De même pour les trois gardes à la fin de l'Acte I sur la tête desquels on pose des sacs en papier aux armes du Brabant. Pourquoi Ortrud se macule-t-elle visage et corps de ciment, ce qui la fait ressembler à un Indien portant des peintures de guerre ? Les affichettes du frère d'Elsa collées sur le mur de la salle et dans un cadre de la maison présentées comme un avis de recherche sont-elles vraiment nécessaires ? La démythification de Lohengrin portant son cygne ressemblant à une peluche de foire lors de son entrée et de sa sortie donne une image parfaitement inepte d'un héros décrédibilisé.

Restent heureusement pour sauver la mise de bonnes, voire d'excellentes prestations vocales.

Il faut de la puissance de chant pour aborder les personnages wagnériens. Tous la possèdent, en particulier les hommes : Jonas Kaufmann d'abord, égal en puissance et sans tensions, au contrôle vocal bien retenu dans les passages piano, au timbre soutenu dans les forte. L'Elsa d'Anja Harteros joue également la puissance mais il semble que le personnage rigide et froid qu'elle interprète déteigne sur la qualité de son timbre, sans passion. Elle semble l'antithèse de son amour, Lohengrin. L'autre personnage féminin, Ortrud, trouve en Michaela Schuster une belle incarnation, sachant rendre la sournoiserie et l'hypocrisie à travers un chant expressif et engagé, crachant volontiers sa haine avec violence. Sentiment également partagé par son époux, Telramund à la puissante présence scénique, la seule qui ressorte vraiment et dont on se souvienne après le spectacle : voix forte, spectaculaire, où couvent la haine, l'ambition, le soupçon et la provocation. Les autres rôles du Roi (Christof Fischesser) et du héraut (Evgeny Nikitin) plus statiques scéniquement, n'ont rien à envier à leurs partenaires et convainquent pareillement.
Le chef japonais Kent Nagano dirige sans feu ce drame romantique où mythologie, grands sentiments, mouvements de foule, passions et violences ne semblent transparaître qu'au travers de certains rôles. Le Prélude ne commence pas dans le calme absolu et semble presque improvisé, sans mystère…

En raison de l'indigence absolue de la mise en scène, c'est bien une impression en demi-teinte faisant parfois trouver le temps long qui ressort du visionnage de ce Lohengrin. La poésie s'en trouvant totalement absente, la passion du drame wagnérien repose entièrement sur les épaules d'interprètes ne pouvant compter que sur eux-mêmes pour donner vie à un des grands opéras romantiques du répertoire.

 






 
 
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