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ClassiqueNews, 3 juillet 2010 |
Stéphanie Bataille |
Lohengrin
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Même
si Nagano reste indécis, et la mise en scène sans souffle poétique ni
fantastique, ce Lohengrin bénéficie d'une incarnation magistrale... A
voir pour le soleil sanguin et félin de Jonas Kaufmann qui réussit sa
prise de rôle: divin immortel au début, l'être miraculeux, nouvel helden
ténor, y devient humain aux accents blessés particulièrement investis
...
Munich, juillet 2009: encore une production très critiquée par sa
mise en scène (si peu provocante au final, et même sans souffle ni
pertinence). Wagner continue d'attiser les braises de la discorde: à
croire qu'on souhaite toujours voir sur scène, la représentation
décorative d'un Moyen Age sage et accessoirisé... Or ici comme à
Bayreuth, la tradition wagnérienne est de longue date appréciée par le
public qui s'entend à crier dès qu'on lui assène une scénographie trop
"actuelle". Evidemment, l'onirisme et la féerie qui sont constitutifs de
la partition sont définitivement absents: la scénographie de Richard
Jones est froide, industrielle. Autant il est légitime d'applaudir des
lectures cyniques, mordantes, réalistes dans le Ring, autant pour les
grands opéras romantiques wagnériens (Le Vaisseau, Tannhäuser et donc
Lohengrin) où l'idéal chevaleresque est tellement présent, on doit
préserver un certain idéalisme, tout au moins un esthétisme visuel... or
ici, la vision est aussi humaine et magique qu'un hangar d'aéroport.
Elsa est une manuelle en salopette d'atelier... qui ne rêve que
de faire construire la maison qui abritera son foyer: projet "petit
bourgeois" dans lequel Lohengrin, son chevalier, nouveau héros devenu
maçon, n'hésite pas à manier truelle et pinceau... Les admirateurs de
romantisme chevaleresque seront déçus dans une vision qui semble faire
la satire de ce projet familial plutôt étriqué. Les vrais surprises de
cette production munichoise ne viennent pas de sa réalisation visuelle
(d'autant que la direction d'acteurs est quasi nulle), mais des voix:
les hommes dominent le plateau par leurs caractères et la forte
caractérisation de leurs personnages.
Kaufmann, maçon convaincant
Dans le sillon de son cycle schubertien la Belle Meunière (qu'il
chantera d'ailleurs à Paris fin 2010), le diseur Jonas Kaufmann incarne
ici son premier Lohengrin (prise de rôle) humain, vaillant, divin trop
divin et terriblement en place: il avait donné une avant-première de ses
capacités vocales dans un autre précédent disque édité par Decca ("Jonas
Kaufmann: Sehnsucht", 1 cd Decca) dans lequel il s'essayait non sans
portée et suprême hauteur au récit du Graal. C'est Bayreuth 2010 qui lui
permettra de reprendre le rôle et peut-être de l'approfondir encore dans
une mise en scène plus onirique, souhaitons-le...
Antithèse du Lohengrin lumineux et angélique de Klaus Florian Voigt, son
contemporain, Jonas Kaufmann éblouit cependant, tout autant par ce feu
qui sommeille, une tension souple et colorée, qui porte constamment le
souci du texte: la musicalité, l'homogénéité du timbre, la puissance et
la largeur de l'émission sur toute l'étendue de la tessiture imposent
son incarnation. D'autant que la mise en scène n'apporte aucune magie.
Le chanteur est maître de ses possibilités, l'acteur tout à fait à
l'aise offrant une approche psychologique au chevalier descendu du ciel
(d'où son tee-shirt bleu clair). Dans le récit du Graal et la révélation
de son identité, Kaufmann sait exprimer la déchirure et l'échec avec une
force de conviction admirable: l'immortel qui avait pu s'établir parmi
les hommes, doit s'en retirer: avoir choisi Elsa est au final une erreur
qu'il paie lourdement. La fiancée était trop fragile, trop frêle face au
venin du soupçon distillé par Ortrud.
Le couple Elsa/Lohengrin s'affirme gagnant au fur et à mesure de
l'action: aux côtés du feu Kaufmann, Anja Harteros possède une voix
solide, assez froide mais déterminée (conception qui domine son
personnage).
Le Telramund de Wolfgang Koch est soupçonneux, provocant, haineux (I);
sa garde tombe dans le dévoilement du II où il se révèle réellement en
sbire de son épouse, la noire et sombre, manipulatrice et vénéneuse
Ortrud: Michaela Schuster a la noirceur du personnage, l'oeil insidieux,
la voix serpentine et large. Très convaincant Christof Fischesser pour
le roi Henri; même approbation pour le héraut de Evgueny Nikitin.
Dans la fosse, Kent Nagano se cherche dans l'ouverture, soigne l'éclat
des cuivres, manque souvent de profonde tendresse et de mystère dans une
partition où s'étend le rêve d'Elsa contre la magie noire d'Ortrud. A
voir pour le soleil sanguin et félin de Jonas Kaufmann qui réussit sa
prise de rôle: divin immortel au début, l'être miraculeux devient humain
aux accents blessés particulièrement investis à la fin; c'est déchiré et
amer qu'il rejoint le ciel d'où il est venu. Triste apothéose mais
personnage captivant. |
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