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Classique News, 11.9.2021 |
par Ernst Van Bek |
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« FREUDVOLL UND LEIDVOLL » / JONAS KAUFMANN / LISZT : lieder
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Après
ses albums Verdi, Puccini, Jonas Kaufmann revient à l’essence même du dire,
du chant, de la poésie ciselée, celle du lied ; mais avec la complicité d’un
magicien hors pair, le pianiste Helmut Deutsch qui tout en lui instillant le
goût de la phrase lisztéenne, est l’acteur majeur de cette réussite et aussi
un expert visionnaire dont les doigts agiles, suggestifs, ressuscitent ce
que nous ignorions jusque là : le génie du Liszt diseur. L’inventeur du
poème symphonique, le virtuose du clavier sait aussi articuler et nuancer
comme personne les poèmes de Heinrich Heine, Goethe (dont « Freudvoll und
Leidvoll » donne le titre du programme) ; Nikolaus Lenau… mais aussi
Redwitz, Freiligrath, Rellstab, Herwegh… L’art du chant se fait prosodie sur
le souffle, où le naturel, la précision des accents, attaques, respiration…
doivent éclairer le texte d’un sincérité aiguë. Parmi cette gerbe poétique
idéalement incarnée, perce le triptyque de Pétrarque, ces 3 sonnets marqué
du sceau de l’emprise amoureuse (à Laure) dont le style et toute
l’architecture récapitulent l’opéra italien, du déchirement impuissant
(Sonetto 47), à la prière extatique et aux hallucinations angéliques du
dernier Sonetto (123).
Certes l’articulation féline du ténor vedette
peut sonner parfois âpre et courte, et son legato, à peine déployé. Mais la
franchise des accents, et cette raucité du timbre, proche de l’animal
blessé, offrent une lecture et une couleur (parfois vériste), proprement
troublantes. En outre, le piano de Helmut Deutsch éblouit constamment pas
son intelligence expressive, son intériorité souple et profonde ; le
dialogue, et la fusion même, qu’il sait insuffler à ce récital à 2 voix
égales.
Ici la complicité, l’entente, la compréhension des deux
artistes relèvent assurément du prodige. D’autant qu’il s’agit d’une
transmission artistique totalement assumée : le pianiste passionné et
révélateur des lieder de Liszt ayant transmis sa passion au chanteur,
lui-même transfiguré par cette découverte.
Le résultat est là, à la
fois envoûtant et déchirant, explorateur d’un continent lyrique à réestimer.
Liszt a composé l’essentiel de ses 90 lieder entre 1840 et 1847, les 7
années où il s’affirme sur la scène européenne comme un prodige du piano
inégalable. La gravité et la profondeur des lieder contrebalaçant alors les
performances techniciennes du pianiste génial et volontiers surdémonstratif.
L’érudition, la sensibilité, les harmonies audacieuses, l’écriture
littéraire de Liszt s’écoutent ici sans limites. Le clavier exprime l’infini
d’un art qui tend continûment vers l’audelà des notes, l’invisible et
l’éther. Tout ce que son gendre, Wagner, a su recueillir à son contact : une
séduction indéfinissable qui appartient à la suprême élégance et la volonté
d’expérimentation. Magistral.
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