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Forumopera, 06/18/13 |
par Clément Taillia |
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Oratorio enchanteur
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Que
reste-t-il d’Engelbert Humperdinck, dans nos mémoires oublieuses ? Peut-être
plus grand chose, si l’on excepte, bien entendu, Hänsel et Gretel. Pas même
Die Königskinder, dont la création, en 1910, sur la scène du Metropolitan
Opera de New-York, fut un temps fort dans la carrière du compositeur. Dans
les rangs d’un public enthousiaste applaudissait même Giacomo Puccini,
lui-même couronné de succès, quelques jours plus tôt, avec sa Fanciulla del
West.
S’ils ont rapidement rejoint la longue liste des œuvres dont le
succès initial n’a pas connu de vraie pérennité, ces Enfants du Roi méritent
pourtant, à plus d’un titre, l’attention du mélomane. Parce que, deux
décennies après Hänsel et Gretel, on s’aperçoit que Humperdinck fait preuve
d’une belle constance artistique : le sujet, une fois de plus, emprunte au
conte, au merveilleux, à l’univers de l’enfance, offrant à l’orchestre
l’occasion de sublimer maintes mélodies populaires. Parce que l’orchestre,
justement, montre le compositeur à son meilleur, capable de faire alterner
en maître puissance et légèreté. Parce qu’on y retrouve le Wagner de
Parsifal ou des Maîtres-chanteurs (la fête de village qui ouvre le II),
aussi bien qu’on y anticipe le Strauss du Chevalier à la Rose, qui sera créé
un an plus tard (le vigoureux appel des cors, auquel succède un bel élan
lyrique des cordes, dans l’ouverture). D’aucuns croiront même déceler la
forme primitive du Sprechgesang dont usera Schönberg… Si les lignes vocales
sont plus sobres que lyriques, si la structure même de l’œuvre, avec sa
succession de scènes dramatiques, n’est pas un matériau propre au
développement de grandes scènes avec cabalettes, Die Königskinder, avec son
orchestre opulent, ses thèmes féeriques, ses personnages attachants, n’a
pourtant rien d’aride, et mériterait de retrouver plus souvent les lumières
de la scène…
…et l’immortalité de l’enregistrement ! Disons-le
d’emblée, la discographie de l’œuvre, moins pléthorique, on le devine, que
celle des Noces de Figaro, incite le critique à une bienveillance naturelle.
Mais c’est une version réellement équilibrée et authentiquement convaincante
que nous propose Accord, en rééditant un disque issu des représentations
données, en 2005, au Festival de Radio France et Montpellier. Personne
d’autre qu’Armin Jordan ne saurait exalter ainsi la force de la partition,
sa puissance évocatrice, les racines dans lesquelles elle puise, les
nouveautés qu’elle esquisse ; le geste du chef suisse, à la fois large et
carré, est du reste, pour les chanteurs, le meilleur des appuis.
Ceux-ci forment une équipe soudée et homogène, où la fusion des voix et des
sonorités prime parfois sur l’expression théâtrale, mais d’où émergent de
forts tempéraments : celui de Nora Gubisch, ardente imprécatrice, celui de
Jonas Kaufmann, qui n’était pas encore, en 2005, l’idole de la planète
opéra, mais qui en avait déjà le potentiel, avec ce timbre sombre, cette
diction éloquente, cette poésie qui n’appartiennent qu’à lui, celui
de Detlef Roth, magnétique dans un rôle où quelques prédécesseurs (Dietrich
Fischer-Dieskau, Hermann Prey) lui font pourtant rude concurrence. Malgré
Richard Krauss dans les années 50, Heinz Wallberg vingt-cinq ans plus tard
et Fabio Luisi il y a quinze ans, c’est vers ce disque qu’il faut désormais
se tourner, en attendant de découvrir les Königskinder sur scène pour se
convaincre pleinement qu’il y a, sous les lignes minérales de cet oratorio
enchanteur, toutes les flammes du théâtre. |
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