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Forum Opéra |
François LESUEUR |
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Engelbert HUMPERDINCK: Königskinder
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Le testament d’Armin Jordan |
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Débutée
en 1893 avec Hänsel und Gretel qui ouvrait la voie d’un genre nouveau,
l’opéra-conte de fée, la carrière d’Engelbert Humperdinck pâtit de ce succès
foudroyant jamais égalé par la suite. Proche de Richard Wagner dont il fut
l’assistant sur Parsifal, ce jeune et brillant musicien, qui faillit être
architecte, triomphe là où personne avant lui ne s’était aventuré : l’opéra
féerique destiné aux grands et aux petits. Coup d’essai, coup de maître avec
Hänsel und Gretel, toujours à l’affiche, qui lui valut l’admiration de
Richard Strauss qui en dirigea la création à Weimar, genre lyrique qu’il
poursuivit en 1895 avec Les sept petits biquets et en 1902 avec La Belle au
bois dormant, sans pour autant renouer avec son succès initial. Humperdinck
s’essaiera également à l’opéra comique avec Les Vivandières (1914) et
Gaudeamus (1919), avant d’explorer la dimension tragique et symbolique avec
Königskinder (Les enfants du roi), qui relate l’histoire d’une gardeuse
d’oies éprise du fils du roi venu dans les bois déguisé en mendiant, sur
lesquels une sorcière jette un sort ; le couple conspué par la foule qui ne
les reconnaîtra pas comme souverains, mourra empoisonné par le pain
ensorcelé de la sorcière. Toujours à l’affût d’ouvrage inconnus, oubliés ou
peu joués, René Koering a eu la bonne idée de programmer en juillet 2005
dans le cadre du 20ème Festival de Radio France et de Montpellier, une
version concertante de ces Königskinder, conte lyrique représenté d’abord à
Munich en 1897, puis créé au Metroplitan de New York en 1910 avec Geraldine
Farrar, Louise Homer et Hermann Jadlowker, sous la direction d’Alfred Hertz.
Qui mieux qu’Armin Jordan pouvait rendre pleinement justice à cette
partition originale, où le choix d’une déclamation située entre parole et
musique correspond parfaitement au sujet, inspiré d’un conte de Grimm et
d’Andersen, évoluant entre réel et irréel ? Personne, et il suffit pour en
être convaincu d’écouter attentivement les premières mesures de cette œuvre
sur laquelle plane l’ombre de Wagner, ou de s’arrêter sur les préludes de
chaque acte à l’écriture très élaborée, aux idées très personnelles et aux
combinaisons harmoniques plus poussées encore que dans Hänsel und Gretel.
Plus il avance dans la narration, plus Armin Jordan, manifestement dans son
monde, se plait à souligner les multiples détails qui distinguent le premier
acte véritable conte de fée, du second, qui s’apparente à un conte médiéval
et du troisième qui relate l’amour des deux enfants sous forme
tragico-réaliste. Le chef met également en avant la richesse de
l’orchestration (l’alliance des timbres obtenus par une formation imposante,
bois par trois, quatre cors, trois trompettes, trois trombones, un tuba
basse, harpe, cordes et percussion) et révèle la finesse des couleurs
vraiment inoubliables dans le duo final, séraphique, avec la passion, le
talent et l’expérience qui sont les siens. Entre ses mains, l’Orchestre
National de Montpellier, si souvent terne et juste honorable, sonne
glorieusement comme si la seule présence d’un maestro d’envergure, suffisait
à transfigurer ces instrumentistes et à les mener vers un moment
d’exception. Voici un tour de force devant lequel il convient de s’incliner
et que la disparition d’Armin Jordan ne rend que plus précieux encore.
A côté du beau travail accompli par les Chœurs de la Radio Lettone, très
importants dans cet opéra où les scènes de foules sont nombreuses et
brillamment réglées (à l’acte 2, lorsque le peuple de Hella attend l’arrivée
d’un enfant royal), les voix du Chœur d’enfants Opéra Junior et notamment
celle de la jeune soliste Nelly Lawson, sont elles aussi à féliciter. La
distribution vocale est de très loin dominée par le ténor Jonas Kaufmann,
entendu à Paris la saison dernière dans Fierrabras de Schubert au Châtelet,
qui aborde le rôle du Fils du Roi avec l’engagement et le matériau d’un
Lohengrin, mais surtout une juvénile sensibilité qui magnifie ce personnage.
La distinction naturelle de son chant, la noblesse de ses phrasés et
l’élégance de sa ligne, procurent un sentiment de plénitude qui transporte
l’auditeur, littéralement subjugué ; son air « Ei is das schwer, ein Bettler
sein » au 2ème acte, est une splendeur. Derrière cette facilité d’élocution,
cette langue précise émise à fleur de lèvres, qui n’est pas sans évoquer
l’aisance d’un Fritz Wunderlich ou d’un Richard Tauber, s’annoncent de
grands emplois wagnériens, mais également Alfredo et Don José, qui figurent
déjà sur son calendrier. Un artiste à suivre. La soprano Ofelia Sala est
une gardeuse d’oies dont les accents poétiques confèrent à l’héroïne sa
candeur et dont le timbre se marie joliment à celui de son partenaire.
Invitée régulière du Festival de Montpellier, Nora Gubisch n’est pas
inoubliable en Sorcière, appuyant un peu trop ses effets, le baryton Detlef
Roth se révélant un superbe Ménétrier, notamment dans son aria conclusif «
Ihr Kindlein, sie sind gefunden und verloren » (Mes petits, on les a
retrouvés et perdus), d’une vérité touchante. Vous l’aurez compris, il
s’agit là d’un très bel et très rare enregistrement. |
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