Resmusica, 7 octobre 2022
par Pierre Degott
 
Duos d’opéra avec Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier
 
Passionnante galerie de portrait d’amis ou de rivaux proposée par le ténor allemand et le baryton français. Dommage que quelques problèmes de tessiture viennent entacher quelques duos qui ne conviennent plus, désormais, aux moyens de Jonas Kaufmann.

Ennemis ou rivaux à la scène, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier sont résolument amis à la ville. Ce beau disque vient ainsi sceller une belle relation artistique nouée lors de multiples concerts et représentations donnés de par le monde. Aïda, Don Carlo, La Force du destin, Andrea Chénier, Werther sont des opéras dans lesquels le public aura eu la chance de voir ensemble notre ténor et notre baryton, et certains de ces ouvrages figurent ici en digne place au sein d’un programme habilement conçu pour mettre en valeur les deux artistes, mais aussi pour offrir au public un large spectre du type de relations ténor-baryton que l’on peut trouver dans le répertoire.

Marcello et Rodolfo de La Bohème sont ainsi liés d’une réelle amitié, nourrie des confidences et des déboires sentimentaux que traversent les deux compagnons d’infortune. Liés par des convictions politiques bien affirmées, Carlo et Rodrigue entretiennent une relation plus ambiguë, l’amitié de Rodrigue semblant déboucher sur des sentiments plus complexes et plus profonds. Complexité encore dans les liens qui rassemblent les protagonistes de La force du destin, où la haine que ressent Carlo de Calatrava pour Alvaro se double de l’amitié et de l’admiration que se vouent les deux hommes. Si la haine quasi métaphysique que Iago entretient à l’égard d’Otello trouve un substrat rationnel dans la jalousie provoquée par l’avancement de Cassio, que dire de la haine purement gratuite du Barnaba de La Gioconda, jaloux d’un homme qui ne désire même pas la même femme que lui, mais dont il est aimé. Tous ces portraits, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier les brossent avec talent et conviction, offrant une vaste galerie de personnages souffrants et tourmentés, déchirés par la force et la violence de leurs passions.

Nous retrouvons tout au long de ces plages les qualités habituelles des deux chanteurs : souplesse, onctuosité et legato de miel pour le baryton, puissance, coloration de la ligne et inflexions caressantes pour le ténor. À ce stade de la carrière de Kaufmann, certains rôles lui sont cependant difficilement accessibles. Certaines phrases de La Bohème sont à la limite de l’étranglement, et les duos des Vêpres siciliennes montrent que le ténor-vedette n’a pas les moyens de cette catégorie de ténor qui doit faire preuve de vaillance vocale tout en assumant une tessiture étonnamment élevée. Dans cet opéra, Benjamin Bernheim eût été parfait, autant pour la grâce de la ligne que pour la qualité exemplaire de la diction. Même si Kaufmann chante un français de bonne qualité, son articulation n’a rien d’authentique, ce qui nuit au bel extrait de Don Carlos, donné ici en français. On retiendra donc, parmi les pépites de ce CD, les magnifiques duos de La force du destin, ainsi que les pages d’Otello que Kaufmann et Tézier auraient dû autrefois graver ensemble, du temps de la prise de rôle du grand ténor allemand. La force de la caractérisation, le climat de tension entretenu par Antonio Pappano à la tête de l’Accademia Santa Cecilia di Roma font de la deuxième moitié de ce CD un disque d’anthologie du chant verdien contemporain. Fort heureusement il est encore temps aujourd’hui de peaufiner quelques intégrales…




 
 






 
 
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