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Elvire James
 
Kaufmann / Tézier un duo en or
 
Les confinement imposés par la pandémie de la covid a exposé leur engagement pour libérer l’activité des artistes ; ensemble (Insieme) les deux solistes lyriques, chacun champion dans leur catégorie vocale, se sont liés indéfectiblement, en particulière artistiquement comme en témoigne ce somptueux récital à deux voix qui sublime surtout l’écriture verdienne de la Forza del destino et d’Otello…
Voix féline, souple et enivrée, d’un vérisme éperdu, Jonas Kaufmann ensorcèle en Rodolfo, poète tendre et passionné auquel le Marcello de Tézier toute en raucité plus directe et franche, offre un soutien riche en compréhension fraternelle : les deux voix se complètent et s’enrichissent dans leur première scène de La Bohème (Puccini).
Vériste et d’un dramatisme intense, – énoncé tout en finesse par Pappano, le tableau suivant extrait de La Gioconda de Ponchielli affronte deux profils viriles distincts : le Barnaba de Tézier – jaloux et manipulateur, piégeant dans ses rais (dignes d’un Iago que l’on écoutera plus loin), l’Enzo de Kaufmann, victime amoureuse de Laura, et qui malgré lui sera le complice d’un infâme stratagème contre La Gioconda… angélisme éperdu ici, noir démonisme et cynisme invincible là. Le contraste est parfaitement caractérisé et signe un superbe instant dramatique, psychologiquement terrifiant, théâtralement fin et magnifiquement déclamé.

Parmi les pépites de ce récital lyrique, Les Vêpres Siciliennes de surcroît en français, éclairant le duo passionnant entre Montfort (Tézier) et Henri (Kaufmann) : confrontation de deux guerriers antagonistes que les caprices d’un destin machiavélique a fait celle d’un père et de son fils, démunis mais déterminés chacun dans la défense de leur tribu ; la séquence du jeune Verdi brille par son intensité héroïque.

Pour l’avoir chanté sur scène, le duo de Don Carlos (en français donc, sur les planches de l’Opéra Bastille) et de Rodrigue, marquis de Posa, défenseur des Flandres soumises, les deux solistes exposent l’ardeur et la vaillance de deux personnalités, idéalistes, foudroyées par le Souverain Philippe II (qui a pris pour femme celle qui était d’abord fiancée à son fils Carlo : Elisabeth).
Dommage que la prise de son comme la tenue de l’orchestre manquent de transparence, de détails et de précision pour une scène où le texte et sa déclamation sont si proches du théâtre. Partisans libertaires, les deux entonnent à 2 voix fraternelles, le fameux hymne qui scelle leur destin (« Dieu, tu semas dans nos âmes / un rayon des mêmes flammes / …).

Enfin le miracle de complicité et d’intelligence à deux, se réalise a voce murmurée, sur le souffle, sans à-coups forcés d’aucune sorte, dans le « duettino » de La Forza del destino, où Alvaro et Carlo partagent la même couleur, le caractère fraternel dans la dignité subtile, aux phrasés élégantissimes (l’Alvaro de Kaufmann déployant des couleurs et une intonation d’une rare subtilité). Même l’orchestre semble transcendé par leur union délectable, virile et comme hallucinée, à l’articulation dramatique, quasi théâtrale, parfaite. Puis les 2 scene e duetti, des actes III et IV, vont plus loin encore dans la juste caractérisation émotionnelle, creusant encore le profil de ses deux âmes, détruites, sacrifiées, broyées par le destin, pourtant en quête d’un salut toujours incertain. Haineux et fraternels puis définitivement rivaux jusqu’à la mort, les deux sont engloutis par la détestation et le crime croisé qui les délivre. Implacable et sublime horreur du fatalisme. Voilà une scène qui démontre que 2 héros nobles pourtant car légitimes chacun dans leur combat, n’échappe pas à la malédiction de la haine.

La fusion entre action et chant, déclamation et geste se personnifie avec davantage de réalisme et de précision encore dans le tableau d’Otello, – suprême confrontation / dialogue de l’acte II entre Otello et son manipulateur Iago, menteur éhonté qui capte et ensorcèle l’âme jalouse, trop naïve et perméable du Maure dont il distille le poison du soupçon : la justesse et la ciselure des phrasés pour chacun des deux solistes relèvent d’un idéal vocal dont ils sont les seuls aujourd’hui à exprimer la vérité comme l’étonnante sincérité. Passion panique d’Otello dévoré par l’ombre de la trahison ; récit mensonger et diffamation ciselée de Iago dont le récit d’un Cassio qui rêve de sa « suave Desdémone » (« Era la notte, Cassio dormia… ») finit par rendre fou le guerrier hier magnifique, maître de son destin, à présent pantin détruit… maîtrise impeccable des intonations vocales : Tézier fait un Iago plus fin et subtil que démoniaque ; le diable tout en finesse, diffusant le délectable parfum de sa vengeance. D’autant plus convaincant qu’ici, l’orchestre romain Santa Cecilia est détaillé, suggestif sous la direction d’un Pappano enfin à l’écoute et au diapason de cette perfection millimétrée où une déclamation sinueuse, précise, nuancée inféode vocalità et intention dramatique.




 
 






 
 
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