Classica, avril 2016
André Tubeuf
 
TOUTE LA FORCE DE VERDI EST AVEC EUX
 
Grâce aux captations de l'Opéra de Munich et leur parution en DVD, nous pouvons suivre le duo Harteros-Kaufmann dans ses oeuvres. Des prestations historiques, comme cette nouvelle Force du destin.

D'abord ne cachons pas les quelques défauts, qui sont criants. Que la production de Martin Kusej soit si délibérément hideuse, passe. Qu'elle installe une agitation brouillonne si fatale à l'action au tableau de l'auberge, au champ de bataille, c'est plus
grave. Mais le superbe tableau musical sur Alvaro rêvant à Séville ainsi encombré de soudards et de putes, c'est pur gâchis Ailleurs c'est simplement économe, fonctionnel, avec une admirable direction d'acteurs Ceux-ci sont prodigieux; Harteros tragique et fatale, Alvaro mobile de traits, tourmenté et non moins fatal, Tézier en Carlo faisant et réussissant le break scénique de sa
carrière, par l'engagement physique, l'autorité.

Choeurs et orchestre (Ascher Fisch) d'ailleurs irréprochables Mais l'atout de toute Forza, nécessaire et suffisant, c'est le chant. Il est ici aussi admirable que possible aujourd'hui, et il l'est en equipe, collectivement. C'est sans doute Alvaro par sa couleur sombre, sa cantilène fréquente et les effets d'intériorité qu'elle permet qui offre à Kaufmann, si peu italien de timbre, d'émission, de vocalité, son meilleur emploi possible dans un Verdi dramatique Il ne laisse pas d'y montrer la fêlure; la limite n'est pas loin, il force; il ménage, mais tout passe, et les stupefiants duos avec Tézier nous font une fin d'opéra réellement mémorable. Tézier n'est pas loin d'être le héros ici, sombre, concentré, violent de voix mais assumant l'éclat, et d'un engagement physique qui le métamorphose. Très noble Padre Guardian, pas inutilement sonore certes; Preziosilla agressive et triomphale; et Melitone admirable de discrétion. La star sans conteste est Harteros, durcie depuis la première six mois plus tôt (on est ici en festival, juillet). La beauté tragique du visage, les bras, le port, la grâce amère dans l'autorité (on a envie de dire: la supériorité), la douleur comme couleur de base de la voix, la ligne fantastique avec d'impossibles allégements dans les sons filés, les aigus projetés et tenus... Dans le rôle féminin que Verdi a le plus amoureusement soigné, une performance vocale et dramatique suprême. Heureuse Munich, sa précédente Forza avait pour héroïne Varady, vibrante et ténue à se rompre, magique. Harteros fatale et tragédienne n'est pas moins haut.

 






 
 
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