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Forum Opéra |
Sophie ROUGHOL |
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Ou comment la citrouille devient carrosse…
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Fierrabras, DVD |
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Fierrabras
est un véritable cas d’école : dans le désert lyrique allemand des premières
années du XIXe siècle (Fidelio et Freischütz exceptés), le Kärtnertheater de
Vienne en la personne de son directeur Barbaja commande un ouvrage ; en
quête de texte, Schubert se tourne curieusement vers Josef Kupelweiser, dont
on craint vue la suite qu’il n’eut guère été meilleur dans son rôle
d’administrateur général du dit théâtre que dans celui de librettiste. Le
compositeur construit l’ouvrage entre fin mai et début octobre 1823 ; puis
doit renoncer à toute création, faisant les frais – dans tous les sens du
terme - tant de l’engouement subit des viennois pour Rossini, poussé par
l’impresario... Barbaja, que de l’échec d’Euryanthe de Weber au
Kärtnertheater, suivie de la démission de Kupelweiser. Fierrabras rejoint le
cimetière lyrique schubertien, bien garni.
On ne peut pour autant pleurer un rendez-vous manqué avec un chef-d’œuvre :
Fierrabras (déjà, rien que le nom du héros…) est un opéra (avec dialogues
parlés) dont la faiblesse de construction et les longueurs affichent à la
face du monde tant les aléas de la composition que la solitude de Schubert,
qui le contraint parfois à l’abandon de toute exigence ; on gage qu’en cas
de création et a fortiori de reprises, de nombreuses scories du livret
eussent été modifiées. Pour autant, l’œuvre aide à faire le lit d’un préjugé
tenace : Schubert aurait été peu doué pour la scène lyrique, tant il
excellait dans les miniatures vocales. Il suffit d’entendre ce qu’il écrit
ici pour affirmer le contraire, et rêver de ce qu’il eut pu produire s’il
avait eu son Da Ponte, et surtout une collaboration qui encadre fermement
ses tentatives constantes d’échapper à la scène pour rejoindre le rêve… En
somme, aider l’accouchement.
Exposons le bric-à-brac dramatique : Eginhard, preux chevalier, et Emma,
fille du grand roi Karl (autrement dit Charlemagne) s’aiment en secret.
Eginhard ramène comme prisonnier le fils du roi des Maures Boland, le fameux
Fierrabras, et en fait son ami. Mais Fierrabras aime aussi Emma. L’autre
preux, Roland (oui, celui du cor), aime en secret la sœur de Fierrabras,
Florinda. Au terme de serments, batailles, trahisons, et divers actes de
bravitude, on devine que chacun pourra enfin aimer sa chacune, pendant que
les deux Rois se jureront une paix éternelle. On sourit, mais entre nous, on
a vu d’autres arguments dont la logique ne valait guère mieux produire des
merveilles … oui, chez Donizetti par exemple, mais pas ici.
Une représentation de Fierrabras eut lieu à Karlsruhe en 1897, puis il
fallut attendre Abbado et le Festival de Vienne 1988, et l’enregistrement
par le même en 1991. La création scénique à Zürich en 2005, reprise au
Châtelet en 2006, fut donc à juste titre un événement… et une réussite
exemplaire d’intelligence. Claus Guth évite astucieusement le piège des
errances dramatiques en prenant le parti de la narration parallèle : ce
n’est pas l’opéra que nous regardons, mais Schubert pensant et écrivant son
opéra, dans sa pièce de travail, avec son piano. Compositeur et personnages
lilliputiens dans un décor surdimensionné, les personnages surgissant des
boiseries au fil de l’écriture, le piano devenant élément du décor, la
chaise devenant trône pour les deux rois. Les lieux divers de l’action sont
simplement annoncés par un message lumineux sur le mur. Et Schubert est
constamment sur scène : Schubert (interprété avec subtilité par Wolfgang
Beuschel) dont on suit sur le visage la pensée créatrice, deus ex machina
faisant surgir les interprètes, leur donnant les partitions, des indications
scéniques, des accessoires ; Schubert, se délectant des légendes médiévales,
tressant peu à peu l’âme de ses personnages en les confondant parfois avec
la sienne – la figure du père en Charlemagne est évidente -, jusqu’à énoncer
lui-même certaines phrases en résonance avec sa propre vie ; Schubert
faisant descendre un tableau noir pour résumer à la craie et avec humour
l’intrigue, quand elle devient plus complexe ; faisant une moue quand un
passage lui plaît moins, adorant du regard un interprète et modelant du
geste la phrase du clarinettiste ; Schubert montant sur le piano comme sur
le bûcher annoncé aux victimes, presque plus avide de liberté et d’héroïsme
que ses personnages, lesquels se rebellent parfois contre leur créateur,
quand par exemple Fierrabras trouve un peu maigre sa participation au final.
Cette mise en scène est un modèle d’intelligence, de sens, d’humour, et de
respect teinté de tendresse pour le compositeur : non pas redondance ou
relecture, non pas ego luttant contre la musique, mais cheminement comblant
idéalement par son acuité les faiblesses d’un ouvrage qui ne pourrait
supporter le premier degré, lui donnant définitivement sa légitimité.
Mais par-dessus tout, justement, il y a la musique de Schubert : on ne sait
qu’admirer, de la beauté des airs dévolus aux solistes (notamment ceux de
Florinda), aux ensembles (duos somptueux) et aux chœurs (chœurs a capella
des prisonniers…), et des parties orchestrales. Fierrabras est un bijou
musical, unissant le singspiel avec ses parties parlées au mélodrame
romantique largement ponctué par l’orchestre ; sur cette trame, chaque
personnage déploie un chant délié comme un lied, en prise directe avec
l’intime, souvent doublé en écho d’un instrument (clarinette, hautbois,
flûte). Franz Welser-Möst y met la juste intention, lecture plutôt
analytique, fermeté et transparence, rejet de tout pathos destructeur, et
surtout, attention extrême à la scène. Il y a dans cette partition tant de
trouvailles mélodiques et « timbriques » impossibles à énumérer ici… La
distribution vocale est très homogène, ardente, d’une clarté de diction
exemplaire, et l’on peut mettre au compte de l’exaltation les rares
défaillances comme certains aigus un peu forcés chez Emma/Juliane Banse, par
ailleurs très subtile. Le Fierrabras de Jonas Kaufman, élément fort de la
scène zurichoise, dévoile un timbre splendide, avec de beaux graves, et une
belle interprétation du personnage. Splendide et vaillant Roland de
Michael Volle, et très belle incarnation tant dramatique que vocale par
Christoph Strehl d’un Eginhard idéaliste et exalté par son amour pour Emma.
A découvrir absolument. |
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