ClassiqueNews.com, 30/09/2007
Lucas Irom
 
Franz Schubert: Fierrabras
(Welser-Möst, 2006)
La cohérence de la production zürichoise rétablit une oeuvre "forte" et profonde dans l'oeuvre lyrique de Schubert. L'équipe Guth/Welser-Möst ressuscite une oeuvre maîtresse du milieu viennois des années 1820...

Voici une gravure en dvd qui mérite d'être soulignée. En plus de dévoiler à sa juste mesure une partition mésestimée de Franz Schubert, le travail de Franz Welser-Möst, le souci des chanteurs (à une exception près), la lisibilité du metteur en scène Claus Guth, démontre clairement la maturité du compositeur en matière lyrique, contre tous les jugements ici et là répétés voire assénés sans fondements. Mieux, l'approche fine, théâtrale et psychologique de Guth, en décembre 2005 et mars 2006 (moments des captations sur la scène zürichoise) paraissent comme les préparations de son aboutissement à Salzbourg, pour les Noces de Mozart (août 2006 pour les 250 ans de la naissance du compositeur), qui fut notre révélation dvd du printemps 2007 (lire le dvd des Noces de Figaro par Claus Guth et Nikolaus Harnoncourt, DG).

Fierrabras regroupe tous les ingrédients de cette réussite exemplaire. Dans un décor viennois des années 1820, - la période de composition (1823) de l'opéra-, à l'échelle monumentale (piano et chaise surdimensionnés), Schubert (l'acteur Wolfgang Beuschel) observe, -regard critique ou attendri (pour le couple Emma/Eginhard)-, comment les noeuds de l'action qu'il a mis en musique, se resserrent dans l'âme tourmentée de ses personnages. Cet oeil extérieur à l'opéra proprement dit renforce l'intensité des sentiments exprimés. Ici, la différence des échelles fait apparaître un Schubert enfant, nostalgique de ce monde perdu où règnent l'insouciance et les légendes à la fois merveilleuses et terrifiantes. Claus Guth d'ailleurs glisse aussi un rapport conflictuel entre ce Schubert agissant et la figure du père, identifiée au Roi Karl. Le désir d'amour et de liberté, rompant avec le poids des obligations et de l'autorité est d'autant mieux incarné. Il renforce la trame amoureuse et sentimentale d'une action définitivement pas "confuse" comme on se plaît à le dire. Schubert serait meilleur dans la miniature du lied, et piètre peintre de l'âme humaine à l'échelle de la scène lyrique: encore un préjugé tenace que cette production exemplaire balaye d'un revers de la main.

La geste de Roland dans un salon viennois
En costumes viennois de l'époque de Franz, les chanteurs incarnent chacun les facettes de l'histoire médiévale qui s'avère être surtout une intrigue sentimentale. Le scénographe s'inspire des soirées musicales (les fameuses Schubertiades) où le compositeur et ses amis, à Vienne, se réunissaient pour chanter et jouer les drames mis en musique par lui-même et ses proches : Fierrabras, fils du prince maure Boland est fait prisonnier par Roland, fidèle chevalier du Roi Karl. Or à la cour des vainqueurs Francs, Fierrabras reconnaît Emma, celle dont il s'est épris et qu'il a remarqué alors qu'il était à Rome avec sa soeur Florinda. Emma est la fille de son vainqueur le Roi Karl. Homme loyal, Fierrabras s'incline lorsqu'il découvre qu'Emma en aime un autre, Eginhard. Mieux, Fierrabras accepte de subir les foudres du Roi Karl quand celui-ci soupçonne que sa fille Emma a été séduite par un homme qu'il pense être... Fierrabras (et non Eginhard).
La lecture de Guth offre une mise en lumière des rapports de chaque couple (comme il le fera quelques mois plus tard dans Les Noces Salzbourgeoises) : Emma/Eginhard, Emma/Fierrabras, mais aussi celui formé par Roland épris de la soeur de Fierrabras, Florinda. Chacun ici se désespère, souffre, accepte, se résigne, habité par un sentiment d'héroïque renoncement. Le romantisme de Schubert concilie la peine et le désir d'élévation. Vertu et force morales en sont les valeurs dominantes.

Un drame héroïque romantique
Agé de 26 ans, Schubert compose son "drame héroïque romantique" pour le théâtre impérial Kärntnertortheater de Vienne (Théâtre de la Porte de Carinthie), de mai à octobre 1823, à une époque où après le Fidelio de Beethoven (1814), Weber triomphe avec Der Freischütz (1821) malgré la vague rossinienne à laquelle succombe le public Viennois. Mêlant singspiel (dialogues parlés) et "melodram" (tableau musicalement flamboyant où c'est l'orchestre qui ponctue et structure l'action), Schubert s'ingénie à exprimer le chant intérieur des êtres en souffrance. Si Francs et Maures s'opposent sur le champ de bataille, de retour chez eux, ils sont la proie d'une guerre plus terrible encore, celle des passions croisées ou contrariées. Guerre d'amour, guerre des armes. Dans la fosse, Franz Welser-Möst dirige avec précision et dramatisme l'une des partitions les plus abouties du compositeur, finement orchestrée, où doubles des prières émotionnelles, flûtes, hautbois, clarinette soulignent les tourments des coeurs en souffrance.

Il faut infiniment de transparence et une sensibilité aux couleurs de l'orchestre pour restituer la délicatesse schubertienne, sans tomber ni dans le pathos ni dans l'excès de maniérisme ou de préciosité. En cela, le chef et les instrumentistes de l'Opéra de Zurich trouvent un ton juste, parfaitement respectueux de cette partition, encore incomprise de la plupart des "spécialistes".

Le Fierrabras de Jonas Kaufmann
D'une distribution parfaitement homogène, sauf l'Emma de Juliane Banse qui est trahie par des aigus défaillants, soulignons l'incarnation supérieure du ténor Jonas Kaufmann qui offre au caractère de Fierrabras, son ardeur virile, sa force morale, portées par une exaltation et un chant habité. Comme chaque acteur, il endosse le costume de Schubert, sorte de double du compositeur, qui vit ainsi par le truchement de ses personnages fictionnels, la passion que son âme désire. Le chanteur qui s'affirme peu à peu sur la scène lyrique, a déjà abordé Florestan, impose un style autoritaire et fouillé sur le plan psychologique. La production cohérente, bénéficiant d'une relecture psychologique centrée sur les relations amoureuses, sans fioritures, rétablit donc une oeuvre "forte" et profonde dans l'oeuvre de Schubert. C'est dire si le dvd édité par Emi se justifie amplement. D'autant que Fierrabras fut au final mis dans les cartons, "oublié" avec la fuite du directeur du théâtre, et Schubert, jamais payé pour une partition complète, pourtant livrée. L'ouvrage fut créé à Vienne en... 1988. Le dvd, dans cette version scénique et musicale superlative, répare cette ironie de l'histoire.

Franz Schubert (1797-1828)
Fierrabras, composé en 1823

Livret de Josef Kupelweiser

Laszlo Polgar, König Karl
Juliane Banse, Emma
Michael Volle, Roland
Christoph Strehl, Eginhard
Günther Groissböck, Boland
Jonas Kaufmann, Fierrabras
Twyla Robinson, Florinda
Irène Friedli, Maragond
Ruben Drole, Brutamonte
Boguslaw Bidzinski, Jungfrau
Wolfgang Beuschel, Schubert

Chor des Opernhaus Zürich
Statistenverein am Opernhaus Zürich
Orchester des Oper Zürich
Franz Welser-Möst, direction
Claus Guth, mise en scène
 






 
 
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